Quel(s) régime(s) juridique(s) pour le(s) dépôt-vente ?

Le dépôt-vente fait figure, en matière contractuelle, d’hydre de Lerne. Que cette convention soit née de l’assemblage de deux autres contrats n’a, en soi, rien de bien singulier. De tels contrats sont légion : crédit-bail, location-vente, location-gérance, gérance-mandat, et bien d’autres encore. Les choses seraient finalement fort commodes si le dépôt-vente pouvait être considéré comme l’adjonction d’un contrat de dépôt à un contrat de vente. À dire le vrai, il n’en est rien et il suffit pour s’en convaincre de considérer qu’il ne peut exister entre les mêmes parties, dans un même temps et sur le même bien, à la fois un contrat de dépôt et un contrat de vente, l’effet translatif de ce dernier étant incompatible avec l’essence même du contrat de dépôt qui, au terme de l’article 1915 du code civil, consiste à recevoir « la chose d’autrui ». On ne peut être à la fois déposant et vendeur, dépositaire et acheteur d’un même bien. Chacun aura donc compris que, si les contrats de dépôt et vente participent d’une même opération économique, ils ne peuvent jamais, dans le cadre d’un dépôt-vente, être conclus entre les mêmes parties : le déposant confie un bien au dépositaire, qui joue alors un rôle d’intermédiaire et se voit chargé de le vendre à un tiers. L’appellation de « contrat de dépôt-vente » est donc, en tant que telle, un non-sens juridique.

Elle est d’autant plus inexacte qu’elle ne rend nullement compte de la réalité. Si le dépositaire est chargé de vendre la chose appartenant au déposant, il ne peut le faire que pour le compte de ce dernier : c’est dire que le contrat de dépôt est alors doublé entre les parties non d’un contrat de vente, mais d’un contrat de mandat. Il serait dès lors plus juste de qualifier la convention conclue entre eux de « dépôt-mandat », ou éventuellement de « dépôt-mandat de vente ». Tel est le cas en matière automobile, lorsque le propriétaire d’un véhicule confie celui-ci à un professionnel à charge pour ce dernier de le vendre à un tiers pour un prix déterminé et moyennant une commission sur ce prix. On peut encore imaginer que le dépositaire, bien que chargé de favoriser la vente du bien, ne dispose pas du pouvoir de vendre au nom et pour le compte du déposant. Le contrat de dépôt se double alors non pas d’un contrat de mandat, mais bien d’une convention de courtage. Le dépositaire pourrait encore tout aussi bien agir pour le compte du déposant, mais en son nom, formant alors ce qu’il conviendrait d’appeler un contrat de « dépôt-commission » .

Le dépôt-vente peut encore recouvrir d’autres qualifications dès lors que l’intermédiaire ne vend pas pour le compte d’autrui, mais bien pour son propre compte. Le dépôt-vente n’a alors plus rien d’un dépôt, mais s’apparente à une vente conditionnelle conclue, soit sous la condition suspensive de la revente , soit sous la condition résolutoire de la non-revente . En fait de dépôt-vente, il n’y a alors qu’une succession de deux contrats de vente. La faculté de restitution dont bénéficie l’intermédiaire n’est due qu’au jeu éventuel de la condition dont est assorti le contrat par lequel il a acquis les marchandises ; sa rémunération ne peut résulter que de la différence entre son prix d’achat et celui de revente. Cette forme de « dépôt-vente » est fort courante entre professionnels, notamment entre bijoutiers ou antiquaires, à raison notamment du transfert intégral des risques qu’implique cette formule contractuelle également connue sous le vocable de contrat de confié .

On ne s’attardera pas dans le cadre de la présente étude sur les critères pouvant commander le choix de telle ou telle (re)qualification. Partant de l’hypothèse, d’un irréalisme assumé, que la qualification retenue procède d’un choix conscient et volontaire des parties, il est en revanche permis de s’interroger sur les critères qui peuvent guider la préférence pour tel ou tel type de « dépôt-vente ». En d’autres termes, quelles sont les incidences des multiples qualifications envisageables sur les droits et obligations des parties à l’opération de dépôt-vente ?

Les conséquences de la qualification peuvent être mesurées non seulement à l’aune des obligations réciproques des parties – que l’on qualifiera, afin d’éviter toute ambiguïté, et quelle que soit la qualification juridique de l’opération de « propriétaire initial » pour le mandant ou premier vendeur et d’« intermédiaire » ou « dépositaire-vendeur » pour celui qui peut être un dépositaire-mandataire ou le second vendeur. Les incidences des différentes qualifications doivent en outre être éprouvées dans leurs rapports avec les tiers : acquéreur ou créanciers. Les deux grands types de « dépôt-vente » reposant sur des techniques juridiques fondamentalement différentes — mandat d’un côté, vente et revente de l’autre — on pourrait s’attendre à constater des différences de régime appuyées et indépassables.

Or, il est surprenant de constater que les dissemblances de régime entre les différents « dépôts-vente » ne sont pas aussi marquées que l’on pourrait le penser de prime abord. À tout le moins, ne sont-elles pas insurmontables. Entre les parties au contrat, il semble que les différences puissent en l’espèce être relativisées par les parties au moyen de l’insertion de stipulations spécifiques (I). Dans les rapports des parties avec les tiers, c’est bien souvent un souci de protection de ces derniers qui conduit à une relative uniformisation des règles applicables au contrat de dépôt-vente, et ce, indépendamment de sa qualification (II).

I. — Les incidences relatives de la qualification du dépôt-vente dans les rapports entre les parties

La qualification de ventes successives devrait naturellement offrir, à tous niveaux, une autonomie plus grande au « dépositaire-vendeur » auquel la propriété des marchandises aura en principe été transférée au moment de leur revente. À l’inverse, le mandataire chargé de vente serait tenu par les termes de ce mandat et verrait ainsi sa liberté considérablement restreinte. À y regarder de plus près, cependant, il faut bien avouer que ces différences de régime sont susceptibles d’être largement contrariées par les stipulations des parties. Il en va ainsi en matière de fixation des modalités de la vente, de rémunération ou encore de conservation du bien.

1 ° La fixation du prix et des modalités de (re)vente

Dès lors que le contrat de dépôt-vente fait intervenir un mandat, ou un contrat équivalent, la détermination du prix de vente est selon toute logique une prérogative du mandant . À l’inverse, l’intermédiaire qui a fait l’acquisition des marchandises en vue de leur revente est libre d’en fixer le prix. Voilà pour les principes, qui ne demandent cependant qu’à être bousculés…

Certes, le mandataire est susceptible de se voir imposer un prix de vente par le mandant. Une telle pratique ne peut nullement être tenue comme contraire à l’article L. 442-5 du code de commerce ou aux règles européennes puisqu’il n’y a pas revente, mais seulement vente . Le mandant, propriétaire de la marchandise et pour le compte duquel la vente sera conclue, est libre d’en déterminer les conditions. Un arrêt ancien considérait d’ailleurs qu’un mandat de vente ne comportant aucune définition du prix et des conditions de la vente à intervenir est nul pour faute de porter sur un objet déterminé . Toutefois, la jurisprudence récente semble plus libérale. Un arrêt requalifie le mandat de vente ne précisant pas le prix en contrat d’entremise . D’autres décisions estiment compatible avec l’exigence d’un mandat express la latitude laissée au mandataire de fixer le prix de la vente. Sans aller jusqu’à une liberté absolue, la pratique consistant à fixer un prix de vente minimal, laissant au mandataire le soin de négocier des conditions plus avantageuses — le cas échéant à son profit et à titre de rémunération — est extrêmement fréquente. À l’inverse, et bien que la qualification de ventes successives devrait en principe impliquer une totale autonomie du « dépositaire-vendeur » dans la détermination de son prix de revente, il demeure possible pour le vendeur initial d’influer sur sa fixation en recourant à des prix conseillés ou à des prix maximums imposés dont la licéité est acquise en droit de la concurrence. La liberté de l’intermédiaire revendeur n’est donc pas totale, de même que le mandataire peut bénéficier d’une certaine latitude.

2 ° La rémunération des parties

Les modalités de rémunération de chacune des parties sont souvent présentées comme l’enjeu principal des différentes qualifications envisageables pour le dépôt-vente. Le moment auquel interviendra le paiement du propriétaire initial apparaît déterminant de la qualification de l’opération. La qualification de l’opération en ventes successives implique que le propriétaire ait été payé par le « dépositaire-vendeur » préalablement à la vente du bien par ce dernier et que le prix ait été convenu dès le départ . Seule la rémunération du dépositaire-vendeur est alors soumise à aléa, celle-ci dépendant de son prix de revente, en principe librement fixé . Dans le cadre d’un mandat, le paiement du prix au mandant, ainsi que celui de la rémunération au mandataire sont logiquement repoussés postérieurement à la conclusion de la vente projetée, dans le cadre de la reddition de comptes. Par ailleurs, celui qui est en réalité un dépositaire-mandataire est susceptible de solliciter le remboursement des frais occasionnés par sa mission et notamment par la conservation de la chose sur le double fondement des articles 1947 et 1999 du code civil. Sa rémunération pourrait en outre être fixée, voire réduite par le juge .

Les différences de régime s’amenuisent cependant lorsque la vente conditionnelle est une vente sous condition suspensive. Conformément à l’article 1304-5 al. 2 le propriétaire initial ne sera alors payé que lorsque la condition suspensive, consistant en la revente des biens, sera réputée accomplie. Même en présence d’une vente sous condition résolutoire, le propriétaire demeure libre de consentir des délais de paiement, sans remettre en cause la qualification du contrat . Combinés à une clause de réserve de propriété, de tels délais de paiement peuvent aboutir à ce que le « dépositaire-vendeur » ne soit pas propriétaire du bien au moment de la vente, sans pour autant remettre en cause la qualification de ventes successives et donc sa qualité de revendeur … Là encore, qualification différente ne signifie pas nécessairement régime différent pour peu que les parties aient pris la peine d’aménager par des clauses spécifiques leurs obligations.

3 ° La conservation du bien

Ici encore, la différence de régime entre les deux types de « dépôt-vente » semble de prime abord nettement marquée. En cas de ventes successives, le « dépositaire-vendeur » acquiert la qualité de propriétaire des marchandises et, par là même, supporte la charge des risques au terme de l’article 1196, alinéa 3, du code civil. À l’inverse, le dépositaire ne sera, en aucun cas, responsable des « accidents de force majeure » ou de ceux étrangers à toute faute de sa part . Toutefois, le revendeur sous condition suspensive est placé dans une situation similaire : n’étant pas encore propriétaire de la marchandise, il ne peut supporter les risques de perte fortuite . De même, toute différence de régime s’estompe-t-elle en cas de perte ou de dégradation du bien dues à la faute du « dépositaire-vendeur ». Que celui-ci soit mandataire ou revendeur, il pèse sur lui une obligation de garde dont la jurisprudence estime qu’elle doit être analysée en une obligation de moyens renforcée . Toute clause contraire serait d’ailleurs contraire à la recommandation n° 99-01 de la Commission des clauses abusives .

En bref, clairement différenciées en l’absence de tout aménagement contractuel, les différentes formes de « dépôt-vente » sont susceptibles d’être régies par des règles très proches selon la convenance des parties. La qualification de ventes successives ou de dépôt assorti d’un mandat n’implique que peu de règles auxquelles les parties ne seraient pas libres de déroger. Si un rapprochement des régimes est encore observable dans les rapports entre les parties et les tiers, il obéit à d’autres impératifs.

II. — Les incidences contrariées de la qualification du dépôt-vente dans les rapports avec les tiers

L’influence des parties sur les règles qui leur sont applicables dans leurs rapports avec les tiers est moindre. Cependant, ici encore, les différences entre les divers types de « dépôt-vente » sont moins marquées qu’une première analyse pourrait le laisser croire. C’est en l’occurrence un souci de protection des tiers, créanciers ou acquéreur, qui guide cette relative uniformisation.

1 ° Les droits des créanciers

La question du droit des créanciers sur les marchandises objet du dépôt-vente se confond avec celle du transfert de propriété. Dans le cas où la propriété des biens est immédiatement transférée à l’intermédiaire (principalement en cas de vente sous condition résolutoire de la non-revente), seuls les créanciers de ce dernier sont susceptibles de les appréhender. À l’inverse, tant le dépôt assorti d’un mandat de vente que la vente assortie d’une condition suspensive de revente n’entraînent aucun transfert de propriété au profit de l’intermédiaire. Les marchandises demeurent donc dans le patrimoine du fournisseur, soumises au droit de gage général des créanciers de ce dernier, mais à l’abri de celui des créanciers de l’intermédiaire. On le voit, la qualification de ventes successives ou de dépôt-mandat n’est finalement pas décisive dans la détermination des droits des créanciers des parties sur les biens confiés en dépôt-vente.

Le transfert de propriété lui-même n’apparaît pas un critère parfaitement fiable. Ainsi le privilège du bailleur est-il susceptible, aux termes de l’article 2332 du code civil, de s’exercer sur « tout ce qui garnit » le bien loué, sans distinction de l’identité de leur propriétaire. Dès lors, le bailleur d’un local où sont entreposées des marchandises en dépôt-vente peut, quelle que soit la qualification de l’opération, sous réserve de sa bonne foi, exercer sur elles son privilège . L’indifférence de la qualification sur le régime du « dépôt-vente » est encore plus marquée s’agissant des rapports des parties avec l’acquéreur final.

2 ° Les droits de l’acquéreur

Si un intermédiaire vendeur est à l’évidence redevable auprès du tiers acquéreur de l’ensemble des garanties propres à cette qualité, il ne devrait pas en aller de même du mandataire. En effet, un « dépositaire-vendeur » qualifié de simple mandataire ne saurait en principe contracter aucune obligation à l’égard de l’acquéreur, qui n’acquiert de droits que contre le propriétaire — au nom et pour le compte duquel la vente est conclue. D’une logique implacable, la solution peut cependant apparaître d’une rigueur excessive lorsque l’effacement du mandataire est de nature à priver l’acquéreur de certains droits.

Il en va notamment ainsi lorsqu’un mandataire professionnel vend, pour le compte d’un particulier, à un consommateur. Stricto sensu, le contrat de vente échappe alors au champ d’application du code de la consommation, alors et pourtant que l’acquéreur-consommateur a acquis le bien auprès d’un professionnel. Il peut sembler curieux que le professionnel puisse ainsi vendre — certes au nom et pour le compte d’un tiers — en s’affranchissant de l’ensemble des obligations qui auraient été les siennes si la marchandise lui avait appartenue. La différence de régime juridique est d’autant plus critiquable si le professionnel propose à la vente indistinctement des marchandises en dépôt-vente et d’autres en vente directe.

Ces arguments d’équité ont largement gagné la conviction des juridictions qui n’hésitent pas, dans un souci de protection de la partie faible, à imposer au mandataire professionnel les mêmes obligations que celles qu’il aurait eues en tant que vendeur. Le mandataire est alors tenu d’une obligation de conseil envers l’acquéreur , auquel il doit garantie des vices cachés et d’éviction . En somme, en matière de « dépôt-vente », la qualification ne précède pas forcément le régime…

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