Solution :
S’agissant du moment et des effets de la résiliation judiciaire des contrats à exécution successive, il est peu dire que le droit des obligations est, en l’état actuel tout au moins, empreint de multiples subtilités. La cour d’appel d’Aix-en-Provence en a fait les frais, par deux fois, à propos d’un contrat de concession. Celui-ci, conclu entre un carrossier et un distributeur d’équipements automobiles, comportait notamment une clause prévoyant qu’à défaut de paiement par le concessionnaire de ses commandes dans les délais contractuels, la convention pourrait être résiliée par le concédant, de plein droit, huit jours à compter de la mise en demeure constatant le défaut de paiement et prononçant la résiliation.
Par lettre du 15 janvier 2002, le concédant avait mis en demeure le concessionnaire de payer certaines sommes dues au titre du contrat, sans toutefois prononcer la résiliation du contrat, puis avait assigné deux mois plus tard son cocontractant en constatation de la résiliation. Cette demande avait été accueillie par la juridiction consulaire, qui avait prononcé la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs du concessionnaire à la date du 23 janvier 2002, soit huit jours après la mise en demeure.
Après avoir ordonné une expertise afin d’établir les comptes entre les parties, et notamment le montant des commissions dues par le concédant au concessionnaire, la cour d’appel d’Aix-en-Provence réformait cette décision par arrêt du 30 avril 2010. La Cour estimait notamment que la résiliation ne pouvait intervenir que huit jours après la délivrance de l’assignation, la mise en demeure ne répondant pas aux caractéristiques contractuellement prévues pour la résolution de plein droit du contrat. Cette décision devait être censurée par la Cour de cassation au motif que, selon les termes du contrat, la clause résolutoire ne pouvait être acquise au créancier sans la délivrance préalable, non intervenue en l’espèce, d’une mise en demeure prononçant la résiliation faute pour le concessionnaire de payer les sommes dues dans le délai de huit jours.
Saisie sur renvoi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt du 18 juillet 2013, prononçait une nouvelle fois la résiliation du contrat aux torts exclusifs du concessionnaire, mais cette fois au jour du jugement de première instance. La cour d’appel de renvoi balayait cependant l’argumentation du concessionnaire, qui reprochait au concédant divers manquements à ses propres obligations et sollicitait en conséquence la résiliation du contrat à aux torts exclusifs de ce dernier. Pour ce faire, la Cour énonce que les griefs formulés par le concessionnaire « datent d’après la saisine par le concédant du tribunal de commerce en constatation de la résiliation du contrat, ce qui les rend inopérants », ajoutant que la résiliation aux torts du concessionnaire « dispense en outre la Cour d’examiner ses autres griefs ».
S’en suit, par l’arrêt rapporté en date du 2 février 2016, une nouvelle censure de la Cour de cassation, laquelle rappelle que :
« pour apprécier si les manquements d’une partie à ses obligations sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat, les juges du fond doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause intervenues, y compris après l’acte introductif d’instance, jusqu’au jour de leur décision ».
Elle ajoute que :
« les juges saisis d’une demande de résiliation du contrat, doivent, lorsque des manquements contractuels sont invoqués par chacune des parties, apprécier leur existence et leur gravité respective ».
Observations :
La procédure ayant abouti à l’arrêt du 2 février 2016, particulièrement riche en rebondissements – rappelons que l’assignation date de 2002 –, permet d’illustrer les difficultés que pose la détermination de la date de la résiliation des contrats à exécution successive (I), ainsi que les conséquences qui en découlent (II).
I. – La détermination de la date de résiliation
S’agissant de la date de la résiliation, trois solutions ont été envisagées par les différentes juridictions saisies de ce litige, qui peuvent être résumées de la sorte :
– la résiliation du contrat huit jours après la délivrance de la mise en demeure,
– la résiliation du contrat huit jours après la délivrance de l’assignation,
– la résiliation du contrat au jour de la décision des juges du fond.
Sans vouloir ajouter à la confusion, il est en outre permis de penser qu’au moins deux autres thèses étaient encore défendables :
– la résiliation du contrat à compter de son inexécution par le débiteur,
– l’anéantissement rétroactif du contrat depuis l’origine.
On écartera toutefois d’emblée cette dernière hypothèse, tenant pour acquis que, dans un contrat à exécution successive ou échelonnée, la résiliation tient lieu de résolution et n’opère par conséquent que pour l’avenir (Com. 1er oct. 1996, n° 94-18.657, Bull. civ. I n° 332. La jurisprudence a toutefois parfois décidé le contraire, comme dans le célèbre arrêt Lucie [Civ. 1re, 17 juin 1995, n° 93-15.485, Bull. civ. I, n° 244], mais pour des cas où le contrat n’avait jamais été correctement exécuté). Pour des raisons propres à l’espèce, les deux premières solutions peuvent pareillement être écartées. La clause insérée en l’espèce ne permettait pas au concédant de s’affranchir d’une mise en demeure, précisant les manquements invoqués, le délai imparti au débiteur pour y remédier et, à défaut, l’intention du créancier de voir le contrat résilié de plein droit. Or, ni le courrier de mise en demeure, pas plus que l’assignation, ne comportaient l’ensemble de ces énonciations. Le mécanisme contractuel de résiliation de plein droit ne pouvait par conséquent avoir joué (Civ. 3e, 17 oct. 1972, n° 71-14.210, Bull. civ. III, no 520). C’est donc à tort que le tribunal de commerce avait « prononcé » (sic) la résiliation du contrat huit jours après le courrier de mise en demeure, et de façon tout aussi erronée que la cour d’appel l’avait constatée huit jours après l’acte introductif d’instance qui valait selon elle mise en demeure. C’est sur cette question que portait la première censure, intervenue par arrêt du 20 septembre 2011.
Faute de pouvoir constater la résiliation de plein droit, dont les conditions n’étaient pas réunies, il ne restait plus à la juridiction de renvoi que la possibilité de prononcer la résiliation judiciaire du contrat. Mais à quelle date ? En règle générale, la jurisprudence privilégie, pour la prise d’effet de la résiliation judiciaire, la date où le débiteur a cessé d’exécuter ses obligations contractuelles (Civ. 1ère, 1er juillet 1963 : Gaz Pal 1963. 2. 388 ; Civ. 3e, 30 avr. 2003, no 01-14.890: Bull. civ. III, no 87). L’arrêt de la cour d’appel de renvoi opte ici pour une résiliation au jour du prononcé du jugement de première instance. Jusqu’à présent, la résiliation opérant « du jour de la décision judiciaire qui la prononce » était, semble-t-il, réservée au domaine des baux (Civ. 3e, 13 mai 1998 : Bull. civ. III n°98, CCC 1998, n° 113, note L. Leveneur; Civ. 3e, 31 janvier 2001, n°97-16.814, RJDA 2001, n° 424) et des contrats de travail (Soc. 14 oct. 2009, no 07-45.257, Bull. civ. V, no 222. – Soc. 11 janv. 2007, no 05-40.626, Bull. civ. V, no 6). Son extension aux contrats de concession mérite donc d’être soulignée, même si la cour d’appel de renvoi prendre soin de préciser que « les parties ont continué un peu leurs relations après le 23 janvier 2002 ».
Cette solution mérite également d’être lue au regard de l’ordonnance du 11 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Le futur article 1129 du code civil distingue, en effet, soigneusement la prise d’effet de la résolution judiciaire, « à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice » de la question des restitutions qui, « lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat », n’ont pas lieu d’être « pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ». Sous l’empire du droit nouveau, une sixième solution aurait donc pu être dégagée…
Pour passionnante qu’elle soit, ce n’est cependant pas directement la question de la date de la résiliation qui justifie la seconde censure opérée par la Cour de cassation le 2 février 2016. Il est ici reproché aux juges aixois de n’être pas allé au bout de leur raisonnement, et de n’avoir pas tiré l’ensemble des conséquences qui découlaient d’une résiliation à la date du jugement de première instance.
II. – Les conséquences de la résiliation à la date du jugement
La Palisse n’aurait pas dit autre chose que la Cour de cassation : « tant que le contrat n’est pas résilié, celui-ci continue à produire ses effets ». Le contrat non encore résilié doit donc être exécuté par l’ensemble des parties, y compris le créancier demandeur à la résiliation judiciaire. La cour d’appel de renvoi ne pouvait ainsi, d’un revers de main, balayer l’argumentation du concessionnaire qui reprochait à son cocontractant de multiples manquements à ses propres obligations, quand bien même ces manquements étaient postérieurs à l’acte introductif d’instance. La jurisprudence sur ce point est abondante et relativement constante (Cass. civ. 3e, 5 mai 1993, n° 91-17.097, RTD civ. 1994. 353, obs. J. Mestre ; CCC 1993, n° 173, obs. L. Leveneur – Cass. civ. 3e, 22 mars 1983, n° 81-13.508, Bull. civ. III, no 84 ; Defrénois 1984. 296, no 11, obs. J.-L. Aubert. – Cass. civ. 3e, 26 juin 1991, n°89-21.640. – Une décision rendue en matière de bail rural fait cependant figure d’exception : Civ. 3e, 6 déc. 1995, no 93-21.260, Bull. civ. III, no 250 ; Defrénois 1996. 813, obs. A. Bénabent). Elle est en outre empreinte d’une grande logique, la doctrine faisant observer que « ne tenir compte que des manquements antérieurs à l’assignation en résolution pourrait le cas échéant conduire, en présence d’un contrat à exécution successive, à refuser une première fois la résolution, puis à examiner une seconde demande aussitôt formée par le créancier de l’obligation qui aurait continué d’être inexécutée pendant la durée de la première instance, pour éventuellement constater la gravité suffisante des manquements accumulés et prononcer finalement la résolution du contrat » (L. Leveneur, obs. sous Cass. civ. 3e, 5 mai 1993 préc.).
Il convenait donc pour les juges du fond d’apprécier la gravité des manquements du concédant afin de s’assurer qu’ils ne justifiaient pas une résiliation aux torts de ce dernier, ou plus probablement une résiliation aux torts partagés. Quelle que soit leur gravité, et à les supposer avérés, ces manquements obligeaient par ailleurs leur auteur à réparation, y compris dans l’hypothèse d’une résiliation aux torts exclusifs de son cocontractant. Le raisonnement, d’une logique implacable, a néanmoins ses limites. On imagine que le concédant ne manquera pas d’invoquer l’exception d’inexécution afin de justifier son attitude, ce qui rendra plus complexe encore la tâche de la cour d’appel de Montpellier, saisie sur renvoi après cassation. On conviendra enfin, au vu des atermoiements jurisprudentiels, qu’il était difficile au concédant de deviner, pendant le cours de la procédure, à quelle date le contrat allait être résilié. Est-il raisonnable d’exiger de lui qu’il continue, par précaution, à exécuter ses propres obligations dans le même temps qu’il sollicitait judiciairement la résiliation du contrat ?
Par où l’on revient inéluctablement à la première question soulevée par cette affaire. Le prononcé de la résiliation judiciaire à la date où le débiteur a cessé d’exécuter ses obligations contractuelles aurait permis de contourner ces difficultés. Car, la Cour de cassation le rappelle là encore, lorsque les juges du fond ont décidé que le contrat serait résilié à compter de la date à laquelle les parties n’ont plus respecté leurs obligations, ils n’ont pas à tenir compte des comportements des cocontractants postérieurs à cette date (Cass. civ. 1ère, 6 mars 1996, n° 93-21.728, Bul. civ. I, n° 118, Defrénois 1996. 1025, note Ph. Delebecque). Là encore Monsieur de La Palice aurait pu le dire : « un contrat résilié n’a plus à être exécuté ».