Adoptée en première lecture grâce au recours à l’article 49-3 de la Constitution, après un débat politique et médiatique intense, la désormais célèbre loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron) constituerait, si elle devait être adoptée en l’état, une véritable révolution pour les réseaux de distribution. En effet, à la suite de l’amendement n° 1681 présenté par le député François Brottes, a été inséré dans le projet de loi un article 10 A, visant à créer au sein du Livre III du Code de commerce un Titre IV, intitulé « Des réseaux de distribution commerciale ».
Sous ce titre, quatre articles (L. 341-1 à L. 341-4) viendraient encadrer les « contrats conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants […] ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, au moins un magasin de commerce de détail ». Le texte vise donc à la fois le commerce associé, les coopératives de commerçants ainsi que les réseaux de franchise, mais exclut les magasins collectifs et les sociétés de caution mutuelle.
Selon son instigateur, cette réforme aurait vocation à « renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution en facilitant les changements d’enseignes par les magasins indépendants » en posant « les principes d’un encadrement des modalités de rattachement des magasins de commerce de détail à un réseau ». À dire vrai, les mesures proposées par le texte semblent très largement inspirées de l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence le 7 décembre 2010 à propos des contrats d’affiliation dans le secteur de la distribution alimentaire.
Ainsi, l’article L. 340-1 tel qu’envisagé par le projet prévoit une harmonisation de la durée et du mode de résiliation des différents contrats conclus entre la tête de réseau et l’affilié. L’enchevêtrement des contrats et leur décalage dans le temps avait été stigmatisés par l’Autorité de la concurrence qui y voyait une barrière à la sortie du franchisé. L’Autorité avait dès lors demandé aux opérateurs « d’unifier la durée et le mode de résiliation de l’ensemble des contrats constitutifs de la relation contractuelle ». À défaut d’avoir été entendue par les têtes de réseau, l’Autorité de la concurrence semble avoir eu l’oreille du législateur.
De la même manière, alors que l’Autorité de la concurrence dénonçait la trop longue durée des contrats d’affiliation, le projet de loi prévoit désormais leur limitation à neuf ans, prohibant en outre la tacite reconduction. Initialement, l’amendement avait prévu une durée maximale de six ans, finalement allongée de trois ans à la demande du gouvernement. S’il est certain qu’une durée particulièrement longue a pour effet d’enfermer l’affilié dans le réseau, il n’est pas inutile de rappeler qu’une durée trop brève met le distributeur à la merci d’un non-renouvellement de son contrat, alors qu’il n’a pas achevé d’amortir ses investissements. Pour les mêmes raisons, il est assez réducteur de considérer la tacite reconduction comme systématiquement défavorable au franchisé qui a parfois, lui aussi, intérêt au maintien de la relation contractuelle.
Toutefois, le coup le plus sévère porté aux réseaux de distribution provient sans doute de l’article L. 340-2 tel qu’envisagé par le projet de loi. La Fédération Française de la Franchise y voit, si le texte devait être adopté en l’état, rien de moins que « la mort de la franchise ». Celui-ci prévoit en effet que « toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats […], de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite ». Seraient donc purement et simplement prohibées les clauses restrictives de concurrence post-contractuelles, au premier rang desquelles les clauses de non-concurrence et les clauses de non-réaffiliation. Celles-ci jouent pourtant un rôle majeur dans la protection du savoir-faire du réseau et sont considérées comme licites par le droit européen.
Le projet prévoit par ailleurs que ces dispositions (durée maximale, résiliation commune, absence de clause restrictive de concurrence post-contractuelle) ne sauraient être mises en échec par des règles statutaires ou des décisions collectives adoptées par une personne morale. La précision vise, entre autres, la franchise participative qui, elle aussi, avait été stigmatisée par l’Autorité de la concurrence dès 2010.
Afin d’éviter un véritable tsunami sur les contrats en cours et de permettre aux réseaux de s’adapter à ces bouleversements, un complexe mais néanmois bienvenu mécanisme d’application différée dans le temps est prévu par l’article 10 A-II du projet de loi.
Le texte transmis au Sénat précise enfin qu’un décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence aurait vocation à définir les seuils de chiffre d’affaires en deçà desquels il pourrait être dérogé aux règles susévoquées. Au cours des débats, le ministre de l’Économie a pu préciser que celui-ci se situerait aux alentours de 50 millions d’euros, sans préciser s’il s’agissait du chiffre d’affaires global du réseau, ou de celui de la seule tête de réseau.
Le risque est en effet, comme a pu le faire remarquer un député au cours des débats « de mettre tout le monde dans le même sac, [sans] faire aucune distinction entre le commerce associé, la coopérative, les chaînes de grande distribution regroupant 500 ou 800 franchisés ou les commerces de proximité ne comptant que quelques dizaines d’acteurs ». L’attention du législateur semble en effet avoir été focalisée sur les pratiques de quelques grands groupes de la distribution alimentaire. Or, les réseaux de distribution, et notamment de franchise, ne peuvent être réduits aux pratiques de ces quelques acteurs, aussi importants soient-ils.