1. Clauses restrictives de concurrence dans les contrats d’affiliation
La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques adoptée le 6 août 2015 créera, un an après son entrée en vigueur, au sein du livre III du code de commerce, un titre IV intitulé « Des réseaux de distribution commerciale ». Le code de commerce s’enrichira alors des articles L. 341-1 et L. 341-2 dont l’ambition est, si l’on en croit le législateur, de « renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution en facilitant les changements d’enseignes par les magasins indépendants » (Exposé sommaire de l’amendement n° 1681 présenté par M. Brottes le 22 janvier 2015). Ces deux textes sont directement inspirés d’un avis, rendu par l’Autorité de la concurrence, le 7 décembre 2010 (Aut. conc., avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire), qui avait été repris, au printemps 2011, par le défunt projet de loi Lefebvre (Projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, Doc. AN n° 3508, 1er juin 2011).
Si le futur article L. 341-1 instaure une indivisibilité légale entre l’ensemble des contrats conclus entre le promoteur du réseau et l’affilié, c’est le futur article L. 341-2 qui retiendra davantage l’attention dans le cadre de ce panorama (Pour une étude d’ensemble de ces dispositions, v. A. Riéra, « Vers un nouveau contrat d’affiliation ? », AJCA 2015. 411 et D. Ferrier, « La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques… en matière de distribution (?) », D. 2015. 1904). Ce texte vient préciser le régime applicable aux clauses ayant pour effet, à l’issue de la relation d’affiliation, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’affilié. Sont donc directement et en premier lieu visées les clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation, dont la validité en matière de contrat de franchise avait suscité d’intenses débats judiciaires et doctrinaux.
Au terme de l’article L. 341-2, I ces clauses seront, en principe, réputées non-écrites dans les contrats d’affiliation. Si la version initiale du texte en restait là, le II vient désormais préciser que ces clauses peuvent néanmoins être validées, à condition de remplir quatre conditions :
– concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat d’affiliation ;
– être limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat ;
– être indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat ;
– ne pas excéder une durée d’un an après l’échéance ou la résiliation des contrats d’affiliation.
Ces conditions sont, mot pour mot, reprises de l’article 5, § 3, du règlement d’exemption européen n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant les accords verticaux. Ceux qui penseraient à une codification à droit constant en seront cependant pour leurs frais : la transposition du droit européen antitrust en droit commun interne est loin d’être anodine. Si le principe en a été critiqué (F. Buy, « Loi ‘‘Macron’’ : focus sur les clauses restrictives d’après-contrat », D. 2015. 1902. V. également M. Celaya, Validité des clauses de non-concurrence et contrats de franchise : le fourvoiement, RLDA 2012, n° 4181), les conséquences ne doivent pas en être sous-estimées.
Les contrats affectés
Le champ d’application du dispositif est précisé par le futur article L. 341-1 du code de commerce, dont la limpidité n’est pas la principale qualité. Pour tenter de simplifier, au risque de caricaturer, on pourra considérer que sont ici concernés tous les contrats de distribution conclus entre le promoteur d’un réseau et ses affiliés, commerçants indépendants (franchise, concession, distribution sélective, gérance-mandat, licence de marque, commission-affiliation, etc.), mais également les contrats accessoires à cette relation d’affiliation (contrats d’approvisionnement, pactes d’actionnaires, location-gérance, prêts, dépôts, cautionnements, etc.).
Si l’article L. 341-1 du code de commerce exclut expressément les contrats de société et de bail commercial, cette exclusion ne devrait concerner – à notre sens – que le mécanisme d’indivisibilité instauré par ce texte (l’article L. 341-1 prévoit que seul « le présent article » n’est pas applicable à ces deux contrats, signifiant a contrario qu’ils sont en revanche concernés par l’application de l’article L. 341-2). Dès lors, ces contrats, lorsqu’ils constituent l’accessoire d’une relation d’affiliation et comportent une clause restrictive de concurrence ne devraient pas échapper à l’article L. 341-2 (contra. F. Buy, « Loi ‘‘Macron’’ : focus sur les clauses restrictives d’après-contrat », préc.). L’enjeu est de taille puisqu’une interprétation différente pourrait aboutir à conforter la pratique pourtant très controversée de la « franchise participative » (sur cette notion, v. not. B. Dondero, L’instrumentalisation du droit des sociétés : la franchise participative, JCP E 2012, n° 46.), consistant pour la tête de réseau à prendre une participation minoritaire au sein du capital de l’affilié afin de bloquer certaines décisions stratégiques, dont le changement d’enseigne. Il serait paradoxal qu’un tel montage, dont les effets sont au moins aussi dévastateurs pour l’affilié que celui d’une clause de non-concurrence, soit plébiscité par le législateur.
Les clauses visées
Là où le règlement européen encadre la validité de « toute obligation […] interdisant à l’acheteur […] de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services », le futur article L. 341-2 régit toutes les clauses « ayant pour effet […] de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant ». L’expression utilisée en droit interne est à l’évidence infiniment plus large que celle employée par le droit européen. Il est certain que les clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation seront concernées par l’article L. 341-2. On peut également s’interroger sur le sort des clauses de confidentialité, de non-sollicitation, ou encore de partage du fichier client, dont il sera difficile de soutenir qu’elles ne restreignent pas la liberté d’exercice de l’affilié à l’issue du contrat. En toute logique, le régime de ces clauses devrait donc être calqué sur celui des clauses de non-concurrence. Poussée à l’extrême, la logique pourrait faire entrer dans le champ d’application de l’article L. 341-2 les pactes de préférence et autres droits de préemption, dont l’Autorité de la concurrence s’était attachée à démontrer, quoique de façon assez contestable (M. Behar-Touchais, « Les obstacles à la sortie du franchisé », préc.), les effets restrictifs de concurrence (Aut. conc., avis n° 10-A-26, préc., spéc. n° 172 et s.).
Le régime instauré
En pratique, seront donc soumis aux exigences du règlement d’exemption des contrats qui jusqu’à lors n’en relevaient pas, puisqu’étant considérés comme des accords de minimis. Alors qu’il avait un temps été envisagé de limiter l’application du texte aux réseaux dépassant certains seuils de chiffre d’affaires, c’est au final l’ensemble des contrats de distribution, qu’ils aient ou non un effet sensible, qui devront se plier aux exigences de l’article L. 341-2. À l’inverse et de façon plus problématique encore, se posera sans doute un jour la question du traitement d’accords qui, quoique contraires aux exigences de l’article L. 341-2, auraient bénéficié d’une éventuelle exemption individuelle accordée par la Commission.
Cette généralisation des critères européens devrait en fin de compte conduire à éradiquer les clauses restrictives de concurrence post-contractuelles dans les contrats de distribution autres que la franchise. En effet, l’exigence d’un « savoir-faire substantiel, spécifique et secret » comme condition de validité de la clause semble difficilement conciliable avec d’autres formes de distribution. La validité de telles clauses, y compris en matière de franchise, ne sera pas pour autant acquise, le franchiseur ayant encore à prouver que son savoir-faire remplit les critères légaux ce qui, en pratique, n’est pas chose aisée (Com. 23 sept. 2014, n° 13-22.624, AJCA 2015. 92, obs. Riera ; Cont. Conc. consomm. 2014. Comm. 269, obs. Malaurie-Vignal. V. dans le même sens Aut. conc., avis préc., pt 157 qui estime que le savoir-faire des enseignes de distribution alimentaire serait « relativement limité »). Il sera par ailleurs désormais impossible de prévoir une interdiction de concurrence dépassant la durée d’un an et s’étendant à une zone géographique plus vaste que les seuls locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité.
Au-delà, il convient de s’interroger sur l’éventuelle survie du régime prétorien dégagé en droit interne. Parmi les quatre critères énoncés par le futur article L. 341-2, aucune place n’est en effet réservée à la proportionnalité de l’engagement, dont la jurisprudence faisait pourtant la clef de voûte de son contrôle de validité des engagements de non-concurrence (Cass. Com., 18 décembre 2012, n° 11-27.068, JCP E 2013, 1037, note Dissaux ; Cont. Conc. consomm. 2013, comm. 53, note Malaurie-Vignal ; D. 2013. 732, obs. D. Ferrier). Le critère de proportionnalité survira-t-il à l’article L. 341-2 ? Répondre par la négative serait porter un sérieux coup à la mobilité des distributeurs, en contrariété totale avec l’ambition initiale du législateur. Lorsqu’une question analogue s’était posée à propos des agents commerciaux, la Cour de cassation avait fort heureusement montré son attachement au régime jurisprudentiel qu’elle avait construit, optant pour une application conjuguée des conditions légales et prétoriennes (Com. 4 juin 2002, n° 00-14.688, D. 2003. 904, obs. Picod ; Cont. Conc. consomm. 2002. Comm. 153, note. Leveneur ou Com. 4 déc. 2007, n° 06-15.137, D. 2008, pan. 248, obs. Gomy. V. également Y. Picod, Y. Auguet, M. Gomy, « Concurrence (Obligation de non-) » in Rép. Com. Dalloz, n° 140). Affirmer le caractère complétif de l’article L. 341-2 serait en outre, de lege ferenda, le seul moyen de concilier ce texte avec le futur article 1102, al. 2 du code civil qui, si l’on en croit l’avant-projet de réforme du droit des obligations, devrait préciser que « la liberté contractuelle ne permet pas […] de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux […] à moins que cette atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché ».
2. Loi Macron et pratiques restrictives de concurrence
La loi du 6 août 2015 opère un certain nombre de retouches au sein du droit des pratiques restrictives de concurrence, dans un but affiché d’assouplissement, mais au risque évident d’accroître encore les rigidités administratives et d’alourdir un peu plus le déjà très volumineux titre IV du livre IV du code de commerce (sur ces questions, v. notam. G. Parleani, « Loi Macron : toujours plus en ‘‘pratiques restrictives’’ », AJCA 2015. 407 et D. Ferrier, « La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques… en matière de distribution (?) », préc.).
Simplification des délais de paiement
S’agissant des délais de paiement, la loi du 6 août 2015 améliore la transposition de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011. L’article L. 441-6 du code de commerce fixe désormais un délai de paiement maximal unique à « soixante jours à compter de la date d’émission de la facture ». Le délai à 45 jours fin de mois devient donc un délai dérogatoire. La possibilité de dérogation par décret pour les secteurs présentant un fort caractère saisonnier, introduite par les lois des 4 août 2008 et 22 mars 2012, est en outre désormais inscrite dans l’article L. 441-6.
Soumission des MDD à la clause de renégociation en matière agricole
Issu de la loi Hamon, l’article L. 441-8 du code de commerce impose l’insertion d’une clause de renégociation des prix dans les contrats d’une durée supérieure à 3 mois, portant sur la vente de produits dont les prix de production sont significativement affectés par les fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires. L’application de ce texte est étendue aux « contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la conception et la production, selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur » ; pour le dire plus simplement, aux produits de marques de distributeur.
Convention annuelle unique dérogatoire pour la distribution de gros
(Pour une étude détaillée de cette question N. Ferrier, « L’allégement des règles de la négociation commerciale dans le commerce de gros. – Prémices d’un droit commun de la négociation pour les relations égalitaires ? », JCP E 2015, 1508)
Un statut dérogatoire est en outre créé pour les grossistes qui sont désormais définis comme « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles, achète des produits à un ou plusieurs fournisseurs et les revend, à titre principal, à d’autres commerçants, grossistes ou détaillants, à des transformateurs ou à tout autre professionnel qui s’approvisionne pour les besoins de son activité ». Ainsi définie, la distribution de gros relève dorénavant non plus de l’article L. 441-7, mais de l’article L. 441-7-1 qui assouplit partiellement les exigences relatives au contenu de la convention unique annuelle obligatoire. Celle-ci ne doit alors pas impérativement inclure le barème de prix du fournisseur ou les modalités de consultation de ce barème. Les parties peuvent par ailleurs prévoir les types de situations et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l’opération de vente seraient susceptibles d’être appliquées.
Envolée des sanctions prévues par l’article 442-6 du code de commerce
Enfin, la loi du 6 août 2015 modifie les sanctions encourues en cas de violation de l’une des multiples interdictions prévues par l’article L. 442-6 du code de commerce. En effet, l’article 442-6, III prévoit désormais que la juridiction commerciale pourra prononcer une amende civile dont le montant sera susceptible d’atteindre « de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement », « 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques restrictives ont été mises en œuvre » ; c’est-à-dire potentiellement des milliards d’euros (v. en ce sens G. Parleani, « Loi Macron : toujours plus en ‘‘pratiques restrictives’’ », préc.) !