La rupture brutale des relations commerciales établies génère cette année un volume de contentieux nettement plus important que les autres pratiques visées par le Chapitre II du Titre IV du Livre IV du code de commerce. Sans opérer de bouleversement, la trentaine de décisions rendues en la matière par la Cour de cassation au cours de l’année écoulée a permis à la haute juridiction de réaffirmer ou de préciser certaines de ses interprétations du texte (1). Le déséquilibre significatif, autre pourvoyeur traditionnel de nombreuses décisions, brille cette année par sa quasi-absence (2). Les autres pratiques restrictives de concurrence ne donnent lieu à aucune décision remarquable de la Haute juridiction.
1. Rupture brutale des relations commerciales établies
Appréciation de la durée de la relation. Plusieurs espèces ont donné l’occasion à la Cour de cassation d’illustrer sa vision pragmatique et compréhensive de la notion de relations commerciales établies. Un arrêt du 6 septembre 2016 (Cass. Com., 6 septembre 2016, n° 15-10.738), non destiné à la publication, approuve une cour d’appel d’avoir considéré comme unique la relation commerciale d’un éditeur avec deux sociétés de communication, qui avaient successivement noué des liens d’affaires avec lui. La seconde société avait pris la suite de la première, avec laquelle elle partageait le même siège social et le même dirigeant. Ce changement de cocontractant avait pu se faire sans que la relation avec l’éditeur ne subisse une quelconque interruption. La relation est également unique lorsque les relations contractuelles, fort anciennes, entre un concédant et un concessionnaire ont impliqué diverses personnes, qui se sont substituées les unes aux autres (Cass. Com., 5 juillet 2016, n° 15-17.004 : AJ Contrat, 2016, p. 439, note Regnault ; Cont. conc. consom., 2016, n° 10, comm. 212, note Mathey). Les largesses de la Haute Cour ne sont cependant pas infinies, ainsi qu’en témoigne un arrêt du 3 mai 2016 (Cass. Com., 3 mai 2016, n° 15-10.158 : Cont. conc. consom., 2016, comm. 166, note Mathey) sanctionnant pour défaut de base légale une cour d’appel ayant insuffisamment justifié sa décision d’autoriser le simple acquéreur d’un fonds de commerce à se prévaloir de la durée de la relation commerciale initialement nouée par le cédant du fonds. On sait qu’en pareil cas, la transmission du fonds n’emporte pas de plein droit transfert de la relation commerciale, ce transfert devant être appuyé par d’autres éléments (V. en ce sens Cass. Com., 25 septembre 2012, n° 11-24.301 : Cont. conc. consom., 2012, comm. 280, note Mathey). Dans un même ordre d’idée, un arrêt du 6 octobre 2015 commenté dans ce panorama l’an passé (Cass. Com., 6 octobre 2015, n° 14-19.499 : D., 2015, p. 2526, note Dorandeu ; AJCA, 2015, p. 532, note Luciani ; RTD. Civ., 2016, p. 118, note Barbier) estimait déjà que de deux sociétés appartenant à un même groupe peuvent parfaitement entretenir des relations commerciales distinctes avec un même fournisseur.
MDD et durée du préavis. Le doublement de la durée du préavis prévu par l’article L. 442-6, I, 5° en matière de produits sous marque distributeur invite la Cour de cassation à préciser cette dernière notion. Un concessionnaire, commercialisant des produits portant la marque de son concédant, s’estimait distributeur de « produits sous marque du distributeur » et entendait voir la durée de son préavis doublé. Ce raisonnement spécieux avait étonnamment emporté la conviction de la cour d’appel de Paris. La Cour de cassation (Cass. Com. 24 novembre 2015, n° 14-24.672 : AJCA, 2016, p. 95, note Reynier), visant l’article L. 112-6 du code de la consommation (devenu R. 412-47), ne se laisse pas abuser et rappelle que le doublement de la durée du préavis de l’article L. 442-6, I, 5° vise à protéger celui qui fournit à un distributeur des produits portant la marque de ce dernier, et non point, comme en l’espèce, celui qui distribue des produits portant la marque de son fournisseur.
Règlement d’exemption et durée du préavis. Toujours dans le cadre d’un contrat de concession, la Cour de cassation se prononce, dans une affaire déjà ancienne (Cass. Com., 5 juillet 2016, n° 15-17.004, précit.), sur l’articulation de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce avec les règles issues des règlements européens d’exemption. En l’espèce, un concédant reprochait aux juges du fond d’avoir considéré comme brutale une rupture respectant pourtant la durée minimale de préavis de six mois alors exigée par l’article 3.5, a) du Règlement (CE) n° 1400/2002 du 31 juillet 2002 alors applicable aux distributeurs automobiles. Tandis que le demandeur au pourvoi en appelait à la primauté du droit européen sur le droit interne, la Cour de cassation rappelle que la durée de préavis exigée par le Règlement du 31 juillet 2002 n’est qu’une durée minimale et, qu’au surplus, les Etats membres demeurent libres d’adopter des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d’une entreprise. C’est donc dans ce cadre, expressément prévu par l’article 3.2 in fine du Règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002, que s’inscrit l’article L. 442-6, I, 5°, dès lors parfaitement compatible avec le droit de l’Union. La précision, qui avait déjà été donnée par certaines juridictions du fond (C.A. Versailles, 4 septembre 2012, RG n° 11/01018, D., 2012, p. 2445, note Chevrier et C.A. Paris, 24 juin 2015, RG n° 13/05110), arrive cependant peut-être un peu tard, à l’heure où le Règlement du 31 juillet 2002 a été supplanté par celui du 20 avril 2010, qui ne contient plus de règle relative à la détermination du préavis.
Point de départ du préavis. La rupture de relations commerciales peut tout à la fois être prévisible et brutale. C’est en tout cas le sens d’un arrêt du 6 septembre 2016 (Cass. Com., 6 septembre 2016, n° 14-25.891 : D., 2016, p. 2203, note Mouly-Guillemaud ; JCP E, 2016, n° 42, 1565, note Dissaux). Au-delà de l’apparent paradoxe, la solution est parfaitement cohérente : le préavis ne court qu’à compter de l’acte manifestant l’intention du partenaire de ne pas poursuivre la relation commerciale. Ainsi que le résume parfaitement l’un des annotateurs de la décision : « envisager la rupture n’est pas la consommer » (N. Dissaux, « La lettre de rupture commerciale », note sous Cass. Com., 6 septembre 2016, JCP E, 2016, n° 42, 1565). Un autre arrêt (Cass. Com., 8 décembre 2015, n°14-18.228 : Comm. Com. Electr., 2016, n° 2, comm. 11, note Loiseau), rendu quelques mois plus tôt, permet par ailleurs de nuancer la portée de cette première décision que d’aucuns pourraient juger par trop formaliste : l’acte manifestant l’intention de ne pas poursuivre la relation commerciale peut ainsi résulter d’un simple courrier électronique annonçant le lancement d’un appel d’offres sur les produits ou services objet de la relation commerciale.
Préjudice indemnisable. De façon dorénavant très classique, la chambre commerciale rappelle, à deux reprises (Cass. Com., 5 juillet 2016, n° 15-17.004, précit. et Cass. Com., 6 septembre 2016, n° 15-10.324), qu’en application de l’article L. 442-6, I, 5° « seul le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture doit être indemnisé et non celui résultant de la rupture elle-même ». La formule n’est pas nouvelle (elle a été initiée par un arrêt de la Cour d’appel de Douai (C.A. Douai, 15 mars 2001 : JCP E, 2001, n° 47, p. 1861, note Pédamon ; Cont. conc. consom., 2001, n° 8-9, p. 125, note Malaurie-Vignal) et ne surprend guère (Sur cette question, v. O. Deshayes, « Le dommage réparable en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie », RLDA, 2010, n° 51, p. 98 et s.). Néanmoins, les juges du fonds semblent éprouver quelques difficultés à l’intégrer si l’on en juge par les deux cassations prononcées par la cour régulatrice, à deux mois d’intervalle, dont l’une sur renvoi après cassation.
2. Déséquilibre significatif
Assignations Novelli. On se souvient qu’en 2009, la décision d’Hervé Novelli, alors ministre de l’Économie, d’engager neuf actions contre diverses enseignes de la grande distribution sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce avait fait grand bruit. Sept ans plus tard, le 4 octobre 2016, la Cour de cassation est venue mettre un terme à l’une de ces affaires, par une décision volumineuse, mais néanmoins non publiée (Cass. Com., 4 octobre 2016, n° 14-28.013). Après avoir rejeté dans le même dossier une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. Com., 25 juin 2015, n° 14-28.013 : Cont. conc. consom., 2015, comm. 232, note Mathey), la Cour de cassation devait se prononcer sur les sept moyens de cassation développés par le groupe Carrefour à l’encontre de la décision de la Cour d’appel de Paris du 1er octobre 2014 (C.A. Paris, 1er octobre 2014, RG n° n° 13/16336 : AJCA, 2014, p. 373, note Fourgoux ; RTD. Com., 2014, p. 785, note Chagny) qui l’avait condamné à une amende de 500 000 € et avait jugé plusieurs clauses de son contrat type avec ses fournisseurs comme constitutives d’un déséquilibre significatif. L’abondance d’arguments ne fait pas mouche, et au terme d’une tentaculaire décision, particulièrement factuelle et motivée, la Cour de cassation rejette le pourvoi. La chambre commerciale estime notamment que la soumission ou la tentative de soumission à un déséquilibre significatif peut résulter de la simple proposition d’un contrat-type à des fournisseurs, peu important que certains d’entre eux disposent d’un pouvoir de négociation. Elle confirme par ailleurs l’appréciation du caractère déséquilibré de certaines clauses faite par les juges du fond, ainsi que l’approche globale du contrat qui avait été celle de la Cour d’appel.
Assignation Sapin. Hasard du calendrier ou ironie du sort, une assignation du ministre de l’Économie chasse l’autre : dans communiqué de presse du 9 novembre 2016, Michel Sapin annonçait en effet avoir assigné Carrefour « pour des pratiques commerciales abusives, contraires aux dispositions du code de commerce ». Cette assignation fait suite à la perquisition réalisée par la DGCCRF au mois de février dans les locaux du groupe. Il est cette fois reproché à l’enseigne de distribution alimentaire d’avoir, comme préalable à l’ouverture des négociations commerciales annuelles, exigé de ses fournisseurs, sans aucune contrepartie, une « remise complémentaire de distribution » d’un montant significatif. Le communiqué ministre de l’Économie s’achève sur une mise en garde, qui sonne comme l’assurance de la pérennité de cette chronique : « les ministres – garants de l’ordre public économique – n’hésiteront pas à faire usage de leur pouvoir d’assignation s’il apparaît des déséquilibres significatifs dans les relations commerciales entre professionnels ».