Déséquilibre significatif et contrat de franchise : l’affaire Subway

Il ne s’agit que d’une décision de première instance, laquelle fera à n’en pas douter l’objet d’un recours, mais sa portée ainsi que les premiers enseignements qu’elle livre font qu’elle mérite d’être ici signalée. On se souvient que dans le cadre d’une enquête nationale relative aux pratiques commerciales dans le secteur de la restauration rapide, la DGCCRF avait procédé, en 2015, à l’étude des contrats de franchise d’une célèbre enseigne américaine spécialisée dans la confection de sandwichs sur mesure, également connue pour être sinon le plus grand à tout le moins l’un des plus importants réseaux de franchise au monde. Les conclusions de l’enquête relative au contrat liant Subway à ses franchisés avaient conduit le ministre de l’Économie à introduire, en novembre 2016, une action sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° ancien du code de commerce. Une trentaine de franchisés du réseau s’étaient associés à la démarche du Ministre en intervenant volontairement à l’instance. La validité de neuf clauses insérées dans le contrat de franchise étaient débattues sous le prisme du déséquilibre significatif, lesquelles concernaient :

  • Le paiement du droit d’entrée et la formation,
  • Les redevances et la gestion du point de vente,
  • Les horaires d’ouverture,
  • L’assurance du franchisé,
  • La responsabilité du franchisé,
  • L’absence d’exclusivité territoriale,
  • La résiliation du contrat,
  • La langue du contrat,
  • Le droit applicable et les juridictions compétentes.

La décision rendue le 13 octobre 2020 par la 1re chambre du Tribunal de commerce de Paris (T. com. Paris, 1re ch., 13 oct. 2020, RG n° 2017/005123, Ministère de l’Économie c/ SARL Subway International BV), est riche d’enseignements. Sur le plan procédural d’abord elle s’attache à résoudre l’épineux problème des délais de prescription applicables à l’action du Ministre et à celle de la victime. Sur le fond ensuite, le jugement qui analyse clause par clause le contrat, méritera d’être scruté par tous les acteurs du droit de la distribution, tant les solutions dégagées pourraient largement dépasser le seul cadre du réseau Subway.

Prescription de l’action du ministre

Habilement, le franchiseur invoquait, pour tous les contrats conclus plus de cinq ans avant l’assignation délivrée par le ministre, la prescription des demandes en nullité des clauses litigieuses. L’argument est intéressant à plus d’un titre. Ce moyen de défense aurait probablement mérité que soit préalablement débattue la nature exacte de la sanction encourue par les clauses significativement déséquilibrées : s’agissait-il d’une nullité comme le mentionne le Tribunal ou d’un réputé non-écrit comme le décide parfois la jurisprudence par analogie avec le droit de la consommation et désormais le droit commun (v. notammment CA Lyon, 3e ch. A, 27 février 2020, RG n° 2018/08265). La doctrine considère en effet traditionnellement qu’au contraire de la demande en nullité, le réputé non-écrit n’est pour sa part pas soumis à la prescription (S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, th. Paris II : Economica, 2006 ; pour une application jurisprudentielle, v. CA Paris, pôle 4, ch. 9, 8 décembre 2016, RG n° 14/13605 ou CA Versailles, 12e ch., 19 décembre 2019, RG n° 18/04565). Les parties et le juge semblant s’être ici accordées sur la qualification de nullité, restait à trancher la question du point de départ du délai de prescription. S’agissant des demandes formulées par les franchisés eux-mêmes, il n’était pas douteux que le point de départ de la prescription devait consister dans la date de signature du contrat. La question était en revanche plus épineuse et inédite s’agissant des mêmes demandes formées par le ministre. La question du degré d’autonomie de l’action du ministre par rapport à celle de la victime qui rejaillit ici, sous le prisme de la prescription. La Cour de cassation (Cass. Com., 8 juillet 2008, 07-16.761), le Conseil constitutionnel (QPC n° 2011-126 du 13 mai 2011) ainsi que la CEDH (Galec c/ France du 17 janvier 2012) ont déjà livré leur analyse, estimant que l’action de l’autorité publique est une action autonome de protection du marché et de la concurrence. Le tribunal de commerce de Paris emprunte le même raisonnement, poussé à son paroxysme : l’autonomie de l’action du ministre conduit le Tribunal à estimer que la demande en nullité des clauses litigieuses obéit à un régime de prescription différent selon qu’elle est formée par le cocontractant ou le ministre. Pour ce dernier, dont l’action est qualifiée de quasi-délictuelle par le tribunal, la prescription ne court qu’à compter du jour où il a connu les faits lui permettant de l’exercer, en application de l’article 2224 du code civil. Ce sont donc les premiers actes d’enquête, et non la conclusion du contrat, qui marquent pour le ministre le point de départ de la prescription. Le tribunal de commerce de Rennes avait déjà, un an plus tôt, statué dans le même sens (T. com. Rennes, 22 octobre 2019, n° 2017F00131, Procédures n° 7, août 2020, chron. 4). Si cette solution a d’indéniables mérites, elle aboutit toutefois à admettre que le ministre puisse solliciter une nullité qui ne pourrait l’être par la victime.

Appréciation globale du déséquilibre significatif

S’agissant de l’analyse du déséquilibre significatif, la structure même de la décision illustre d’abord toutes les limites de l’idée selon laquelle les clauses prétendument déséquilibrées doivent être appréciées dans l’économie globale du contrat, afin de déterminer si elles ne sont pas rééquilibrées par d’autres stipulations. Au vu du nombre de dispositions contestées de même que de la complexité des relations contractuelles, le Tribunal n’a eu d’autre choix que d’étudier d’abord l’équilibre intrinsèque de chaque clause avant de conclure son raisonnement par une appréciation globale sur un éventuel rééquilibrage résultant d’autres stipulations. Le caractère artificiel et relativement vain de l’exercice transparait assez nettement : apprécier l’équilibre de chaque clause impose déjà de la resituer dans l’ensemble contractuel auquel elle appartient. Comme le relève le Tribunal à propos de la fourniture par le franchiseur d’un concept ayant une valeur économique certaine « ce bénéfice procuré au franchisé trouve sa totale contrepartie dans la rémunération que Subway obtient de lui ; le contrat se trouve ainsi équilibré ; Subway ne saurait s’octroyer une contrepartie contractuelle adventice, résidant dans la stipulation de clauses manifestement déséquilibrées en sa faveur ».

Nullité de certaines clauses significativement déséquilibrées

Sur le fond, parmi les neuf stipulations querellées, cinq sont finalement annulées. Du point de vue quantitatif, la décision peut ainsi sembler relativement mesurée. Elle l’est également sur le plan qualitatif dans la mesure où les clauses censurées ne sont pas, pour l’essentiel, les plus fondamentales à l’économie du contrat. Ainsi, la clause obligeant les franchisés à être ouverts 7 jours par semaine pour un minimum de 98 heures par semaine est considérée comme significativement déséquilibrée, en raison notamment de ce qu’elle ne tient pas compte des spécificités inhérentes à la localisation du point de vente et n’apparaît pas indispensable à la cohérence et à l’homogénéité du réseau. De même, si la clause imposant au franchisé de souscrire une assurance comportant un montant minimum de garantie est fort logiquement validée, le mécanisme de sanction prévu en cas de non-respect de cette clause – devant permettre au franchiseur de se rembourser automatiquement de tous les frais qu’il aurait exposé pour faire respecter cette stipulation, sans plafond – est lui considéré comme significativement déséquilibré. Dans la même veine, sont à la marge censurées les clauses relatives à la résiliation permettant au franchiseur de résilier unilatéralement le contrat pour des motifs minimes.

Sanction de l’absence de droit de préférence sur les secteurs limitrophes

La motivation du Tribunal quant à l’absence d’exclusivité territoriale retient en revanche davantage l’attention. On sait qu’au contraire du contrat de concession, le contrat de franchise ne comporte pas nécessairement une telle exclusivité au profit du distributeur (en ce sens, D. Ferrier, « L’exclusivité territoriale n’est pas toujours un élément essentiel du contrat de franchise », D. 2003. 2427 ; N. Dissaux, Franchise in Rép. Com., n° 98). La Cour d’appel de Paris a même estimé que le refus d’octroyer une telle exclusivité ne suffit pas à caractériser un déséquilibre significatif (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 13 septembre 2017, RG n° 14/2548, AJ contrat 2017. 533, obs. Ponsard). Toutefois, le Tribunal de commerce de Paris estime en l’occurrence cette situation significativement déséquilibrée, dès lors qu’« elle ne permet pas au franchisé de préempter une nouvelle implantation décidée par Subway qui lui ferait territorialement concurrence et de pouvoir résilier dans une telle circonstance le contrat relatif à son actuel emplacement ». La motivation est audacieuse. Elle fait nettement primer la protection de la partie faible sur la préservation de la concurrence intra-marque. La problématique illustre à merveille les objectifs parfois antagonistes des deux pans du droit de la concurrence que sont le droit antitrust et le droit des pratiques restrictives de concurrence, le secondes triomphant ici au moins provisoirement du premier.

Sanction des contrats d’une durée de 20 ans

Mérite également que l’on s’y attarde la motivation du jugement à propos de la durée des contrats qui, conclus pour une durée de 20 ans, sont à ce titre jugés comme significativement déséquilibrés. Appliquant l’article L. 330-1, le tribunal décide que le contrat de franchise comportant une clause d’exclusivité ne saurait avoir une durée supérieure à 10 ans, la durée de 20 ans étant au surplus « largement supérieure aux durées des contrats conclu à durée déterminée pour les activités de distribution de détail ». Au-delà de cette motivation, la solution retenue laisse un trouble puisqu’il semble falloir conclure, en l’état de l’annulation de la clause de durée ainsi prononcée, que les parties se trouvent liées par un contrat à durée indéterminée qui paraît infiniment moins protecteur des franchisés qu’un contrat à durée déterminée – fût-il trop long.

Sanction de la clause d’arbitrage aux Etats-Unis

Enfin, la sanction la plus sévère porte probablement sur la stipulation d’une clause compromissoire prévoyant l’usage de la langue anglaise, l’application du droit néerlandais et le déroulement de la procédure aux États-Unis. Dans une motivation peu amène avec le franchiseur, le tribunal conclut que « la conjonction de ces contraintes imposées au franchisé tant sur le plan juridique que culturel caractérisent un déséquilibre significatif en défaveur du franchisé ». On ne saurait mieux dire : si le recours à l’arbitrage ne saurait en tant que tel démonter un quelconque déséquilibre, il en va différemment des modalités choisies en l’espèce. Pourtant quelques mois plus tôt, la Cour d’appel de Paris rejetait pour sa part, dans d’autres affaires concernant l’enseigne Subway, l’argument tiré du déséquilibre significatif généré par la même clause (CA Paris, pôle 1, ch. 1, 2 juin 2020, RG n° 17/18900 ; CA Paris, pôle 1, ch. 1, 15 septembre 2020, RG n° 18/01360 ; pour une étude d’ensemble sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : l’arbitrage à l’épreuve du déséquilibre significatif, Dalloz actualité, 29 juill. 2020).

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