La chance de ne pas être franchisé (Com., 25 novembre 2014, n° 13-24.658)

Solution :

La société GC 5 Paris a conclu un contrat de franchise avec la société Intervalles. Peu de temps après avoir débuté l’exploitation de son fonds de commerce, le franchisé a été placé en liquidation judiciaire. La société franchisée représentée par son mandataire-liquidateur ainsi que son gérant ont alors assigné le franchiseur en annulation du contrat de franchise, restitution de diverses sommes et paiement de dommages-intérêts.
Faisant droit à ces demandes, la Cour d’appel avait fixé à 10 000 € l’indemnisation octroyée au gérant de la société franchisée en raison des manquements du franchiseur à son devoir d’information. Pour la fixation de cette somme, au titre des revenus manqués par le dirigeant, de la société, les juges d’appel avaient estimé que le franchisé devait être indemnisé de la « perte de chance de percevoir la somme figurant dans les prévisionnels ».
Cette décision est censurée pour violation de la loi, au visa de l’article 1382 du Code civil. Reprenant une formulation déjà connue en matière de franchise (Com. 31 janvier 2012, n° 11-10.834), la Cour de cassation rappelle que : « le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par celle d’obtenir les gains attendus ».

Observations :

Alors que la loi Doubin vient de souffler sa vingt-cinquième bougie, la perte de chance de ne pas devenir franchisé vient s’ajouter à la longue litanie des chances perdues de ne pas contracter, de répondre par la négative à l’alternative shakespearienne, et de n’être pas caution (Com., 20 octobre 2009, n° 08-20.274), investisseur (Com., 9 mars 2010, n° 08-21.547), patient (Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591) ou simple acquéreur (Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.895). Contrat préjudiciable, voire « contrat-préjudice », le contrat de franchise est ainsi source de responsabilité pour le franchiseur négligent dans l’accomplissement de son devoir précontractuel d’information. L’arrêt invite à deux réflexions : la première quant au titulaire du droit à réparation (I), la seconde quant à son étendue (II).

I. La société franchisée, cocontractant malheureux, est le titulaire naturel de l’action dirigée contre le franchiseur pour manquement à son obligation précontractuelle d’information. Cette action peut-elle être doublée d’une action intentée, en leur nom propre, par les dirigeants et associés de la personne morale ? Rien ne s’y oppose a priori, sous réserve de la démonstration d’un préjudice personnel et distinct (v. déjà Com. 26 janvier 1970, n° 67-14.787 ; pour une illustration récente v. CA Paris, 19 février 2014 RG n° 11/20167). Les juges du fond considèrent souvent comme tels les apports en capital ou en compte courant réalisés par l’associé du franchisé (CA Versailles, 17 oct. 2013, RG n° 11/07740 ; CA Paris, 21 janvier 2009, RG n° 06/16463). La Cour d’appel en avait fait de même en l’espèce, et n’est pas censurée sur ce point, alors que le raisonnement pourrait paraître contestable. La perte des apports et investissements par l’associé n’est en effet que le corollaire du préjudice éprouvé par la personne morale. La réparation accordée à la société devrait effacer le préjudice invoqué à ce titre par l’associé (v. notam. B. Petit et Y. Reinhard, note sous Com. 1er avril 1997, RTD com. 1997, p. 647 ou X. Boucobza et Y.-M. Serinet, note sous Com. 8 février 2011, D. 2011, p. 1535). Même la mobilisation des cautionnements souscrits par le dirigeant suscite quelques réserves, la réparation du préjudice subi par la société étant de nature à rendre envisageable l’exercice des recours après paiement. Peuvent en revanche apparaître comme réellement distinct du préjudice subi par la société le préjudice consistant pour l’associé dans la perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds (sur cette question v. A. Bories, note sous CA Paris, 19 février 2014, JCP E 2014, 1308) ou encore dans le temps investi, sans rémunération, pour l’entreprise. C’est à cet égard que se pose la question du quantum de l’indemnisation.

II. La Cour de cassation rappelle que les espoirs précontractuels déçus ne peuvent se traduire par un préjudice consistant dans la perte de chance d’obtenir les gains attendus du contrat projeté. La motivation n’est pas sans rappeler la règle posée en 2003 à propos de la rupture abusive des pourparlers (Com., 26 novembre 2003, n° 00-10.234). Elle est désormais plus que classique en matière de manquement à une obligation d’information, et a même parfois été appliquée en matière de dol (Civ. 1re, 25 mars 2010, précité). Sans doute le franchisé mal informé était-il légitimement en droit d’espérer les gains promis par le franchiseur au cours des pourparlers. Il n’existe cependant aucun lien de causalité entre ces gains manqués et la faute du franchiseur. À le supposer bien renseigné, tout au plus lui aurait-il été possible de renégocier ou de refuser le contrat qui lui était proposé. Pour reprendre une formule du Professeur Stoffel-Munck, « il s’agit de remettre la victime dans la situation où elle aurait été si elle avait été sérieusement informée ; non dans celle où elle serait si la réalité avait correspondu à ses illusions » (Ph. Stoffel-Munck, C. Bloch, « Responsabilité civile », chron., JCP G 2012, doctr. 1224). En d’autres termes : promettre n’est pas garantir.

Implacable d’un point de vue logique, la solution n’en est pas moins délicate à mettre en œuvre. Car la perte de chance « de contracter à des conditions plus avantageuses » invoquée par la cour régulatrice paraît bien délicate à appréhender. En s’engageant dans une entreprise déficitaire, le candidat à la franchise a gaspillé du temps et de l’énergie, travaillant souvent sans rémunération au développement d’une entreprise vouée à l’échec. C’est bien ce pretium temporis, personnel au dirigeant, que les magistrats angevins avaient entendu indemniser. La Cour de cassation ne ferme pas totalement la porte à une telle compensation, mais la base ne pourra en être les promesses du franchiseur. Le franchisé aura perdu son temps et ses illusions, mais sera riche d’une expérience qui, comme le disait Oscar Wilde, n’est autre que le nom donné aux erreurs passées.

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