Le porte-fort et le droit des sûretés

Longtemps, le code civil n’a connu pour toute sûreté personnelle que le traditionnel cautionnement. L’ordonnance du 23 mars 2006 a fait entrer au sein du Titre Ier du Livre IVe du code civil deux autres sûretés personnelles, initialement crées par la pratique : la lettre d’intention et la garantie autonome. Si la pratique a ainsi contribué à enrichir le code civil, les institutions séculaires du code Napoléon sont également une source d’inspiration et de renouvellement pour les rédacteurs de contrats. En témoigne le porte-fort d’exécution, convention consacrée par l’ancien article 1120, inchangé depuis 1804 jusqu’à ce qu’il devienne, à la faveur d’une réécriture par l’ordonnance du 10 février 2016 , l’article 1204 du code civil. Le porte-fort était originellement conçu comme permettant « la conclusion d’un acte juridique par une personne n’en ayant pas le pouvoir mais se portant fort que celle qui le détient ratifiera » . L’ancien article 1120, en débutant (maladroitement ) par l’adverbe « néanmoins », apparaissait ainsi tout entier comme une nuance au principe affirmé par le texte précédent au terme duquel « on ne peut, en général, s’engager ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même ». Depuis plusieurs décennies, la technique contractuelle a toutefois permis au porte-fort de s’émanciper de la sphère de la conclusion du contrat pour conquérir celle de son exécution et de sa sécurisation. Le porte-fort étant celui qui promet le « fait » d’un tiers, il apparaîtrait réducteur de cantonner ce fait à la seule ratification d’un contrat : le fait attendu du tiers peut parfaitement être l’exécution d’un contrat qu’il a personnellement conclu. Le porte-fort n’a alors plus rien d’une technique facilitant la conclusion d’un contrat pour le compte d’une personne empêchée, mais revient à ce qu’un tiers se porte garant de la bonne exécution d’un contrat. Le porte-fort a alors tout d’une garantie voire d’une sûreté personnelle , en sécurisant l’obligation principale par l’adjonction de l’engagement d’un garant.

Ce « porte-fort sûreté » a reçu l’approbation de la Cour de cassation par un important arrêt du 13 décembre 2005 , lequel s’attache à distinguer « celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement » de « celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers », pour le dire autrement, le porte fort de ratification du porte-fort d’exécution. C’est dans cette seconde variante que le porte-fort a tout d’une garantie personnelle : si le tiers n’exécute pas ou exécute imparfaitement ses obligations, le promettant — défaillant à son propre engagement — verra sa responsabilité engagée envers le créancier. Ce mécanisme est aujourd’hui implicitement consacré par l’article 1204 du code civil, tel qu’issu de la réforme du 10 février 2016. Le texte ne reprend pas expressis verbis la distinction doctrinale et jurisprudentielle entre promesse de porte-fort de ratification et promesse de porte-fort d’exécution. Le nouvel article 1204 se contente de la formule générique, empruntée à feu l’article 1120, au terme de laquelle se porter fort consiste à promettre le « fait » d’un tiers. Toutefois, l’alinéa 3 permet, par une interprétation a contrario, d’émanciper le porte-fort du seul domaine de la ratification. Cet alinéa dispose que « lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit » . C’est donc admettre que le porte-fort peut avoir pour objet autre chose que la « ratification d’un engagement ». La ratification est ainsi officiellement reléguée au rang d’illustration des multiples facettes que peut prendre le fait du tiers, et par là le porte-fort lui-même. Le rapport au Président de la République est encore plus explicite en présentant l’article 1204 comme « une définition ouverte, incluant aussi bien le « porte-fort de ratification » (c’est-à-dire lorsque le promettant se porte fort d’obtenir le consentement à un acte qui est déjà négocié et conclu), le porte-fort dit « de conclusion » (lorsque dans un acte le promettant s’engage auprès du bénéficiaire à ce qu’un tiers conclue un autre acte juridique), que le « porte-fort d’exécution » (c’est-à-dire lorsqu’il s’engage à ce qu’un tiers exécute un contrat conclu avec le bénéficiaire, à titre de ‘‘garantie’’) » . Voilà, un peu plus de dix ans après la consécration jurisprudentielle, le porte-fort sûreté oint de la bénédiction du législateur. Ce n’est sans doute que justice, si l’on songe que dans le langage courant, se porter fort pour quelqu’un est synonyme de se porter garant de celui-ci …

Est-il bien légitime toutefois que des mécanismes de droit commun soient ainsi instrumentalisés à des fins de sûretés ? N’y a-t-il pas à craindre, pour reprendre un thème cher au coordinateur de ce dossier, que le porte-fort d’exécution ne livre une « concurrence déloyale » aux sûretés personnelles classiques ? Le débat a été posé en des termes éminemment concrets par un autre des signataires de ce dossier : « La promesse de porte-fort d’exécution est une garantie personnelle redoutablement efficace. D’une souplesse rare, elle permet de contourner toutes les règles protectrices de la caution. Son utilisation tourne parfois à l’abus. […] Un rééquilibrage ne s’impose-t-il pas ? » s’interroge ainsi le Professeur Dissaux. Une autre plume autorisée met encore en garde contre un risque de « parasitage » du droit des sûretés par de tels mécanismes issus du droit des obligations .

S’en suivent deux séries de questionnements. La première a trait à la place du porte-fort d’exécution au sein du droit des sûretés — pour qu’il y ait concurrence déloyale, encore faut-il que soit caractérisée une situation de concurrence ; la seconde aux avantages réels ou supposés que peut offrir le porte-fort d’exécution au regard des sûretés personnelles traditionnelles. Or, d’un point de vue notionnel, la place du porte-fort au sein du droit des sûretés reste à conquérir (I), tandis que son régime demeure pour l’essentiel à bâtir (II).

I. — Une place à conquérir

Bien qu’il ait fait l’objet d’une reconnaissance implicite par l’ordonnance du 10 février 2016 (A), le porte-fort d’exécution demeure difficile à situer parmi les différentes garanties personnelles de la dette d’un tiers. Sur le plan conceptuel au moins, le porte-fort d’exécution est ainsi extrêmement proche d’autres mécanismes contractuels, dont il emprunte la quasi-totalité des traits et desquels il est parfois difficile à distinguer (B).

A. — La reconnaissance

Pour l’essentiel, l’ordonnance du 10 février 2016 s’est contentée de donner corps au porte-fort d’exécution, sans en modifier en profondeur la substance. Le porte-fort est ainsi traditionnellement présenté comme une obligation de faire, qui aurait la nature d’une obligation de résultat. On déduit généralement de ces deux traits caractéristiques la nature nécessairement indemnitaire du porte-fort d’exécution : faute d’exécution par le débiteur, le porte-fort peut être condamné à des dommages et intérêts, ainsi que le prévoit désormais l’article 1204 alinéa 3.

Une obligation de faire. — Un trouble avait pu entourer la nature de l’obligation du promettant suite à l’arrêt de la chambre commerciale du 13 décembre 2005 . Par cette décision, la Cour estimait de façon fort contestable que le promettant « s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Cette position a cependant clairement été amendée par un arrêt du 18 juin 2013 , confirmé par un autre arrêt du 8 juillet 2014 . Ces deux décisions ont permis d’asseoir la distinction entre porte-fort d’exécution et cautionnement. Contrairement à une caution, le porte-fort ne s’engage pas envers le créancier à satisfaire aux obligations du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas lui-même ; il souscrit une obligation indépendante et d’une nature différente. Le porte-fort « se fait fort », c’est-à-dire au sens littéral du terme, « s’estime ou se dit capable » d’obtenir l’exécution par le tiers de ses engagements. Ainsi, « le promettant ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers défaillant, mais à faire que le tiers l’exécute »  ; par là, le porte-fort se distingue très nettement du cautionnement. La solution est désormais solidement ancrée et reprise par de nombreuses cours d’appel . Son intérêt demeure, bien que la distinction jadis opérée par l’ancien article 1101 du code civil entre les obligations de faire, de ne pas faire et de donner ait disparu.

Une obligation de résultat. — Si un arrêt non publié ait pu affirmer que le promettant n’était tenu que d’une obligation de moyens , il semble acquis que le porte-fort implique une obligation de résultat , voire pour certains de garantie . Le porte-fort se distinguerait ainsi de la promesse de bons offices, qui n’implique pour sa part qu’une obligation de moyens . Le porte-fort serait en outre plus restrictif que la lettre d’intention, dont on sait qu’elle autorise la souscription par le confortant tant d’une obligation de résultat que d’une obligation de moyens. Cette thèse a cependant, depuis longtemps, ses détracteurs : au nom de la liberté contractuelle ou d’une critique plus large de la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat , d’aucuns contestent que le promettant se voit automatiquement affublé d’une obligation de résultat.
Le débat pourrait bien être relancé par le deuxième alinéa du nouvel article 1204 au terme duquel « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis » ; « dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Est-ce à dire que les dommages et intérêts ne sont qu’une éventualité en cas de défaillance du tiers et qu’ils n’ont rien d’automatique comme le laisserait accroire une obligation de résultat ? L’emploi du verbe pouvoir est à tout le moins troublant… Les commentateurs de l’ordonnance avancent diverses explications à cet énigmatique « peut » : rappel qu’à défaut de préjudice aucune réparation n’est due , ou conséquence de l’alternative laissée au promettant entre obtenir l’exécution du contrat ou indemniser le bénéficiaire . Tous s’accordent cependant pour estimer qu’il ne change rien à la nature de l’obligation du promettant .

Une sanction en dommages et intérêts. — La dernière constante tient au caractère indemnitaire du porte-fort sûreté. Celui-ci se déduisait aisément de l’ancien article 1142 du code civil, dès lors qu’il est admis que le promettant est débiteur d’une obligation de faire. Bien que ce texte et la règle qu’il énonçait aient disparu, la sanction du promettant par l’octroi de dommages et intérêts demeure la seule sanction envisagée par l’article 1204 du code civil. Mais ici encore, la réforme ne clôt peut-être pas le débat… Que le promettant puisse être condamné à des dommages et intérêts, comme l’envisage l’article 1204 al. 2 in fine est une chose ; qu’il ne puisse être condamné qu’à des dommages et intérêts en est une autre, que le texte n’énonce pas… Un commentateur de l’ordonnance fait remarquer que la solution « n’en paraît pas moins dictée par la nature même de la promesse de porte-fort » qui « ne peut être assimilé[e] à une caution » . La jurisprudence refuse traditionnellement toute condamnation du promettant à exécuter les obligations du débiteur . Faut-il dès lors aller jusqu’à conclure que l’article 1204 al. 2 revient à poser une exception au principe général édicté par le nouvel article 1217 au terme duquel cinq remèdes à l’inexécution contractuelle sont offerts au choix du créancier ? Celui-ci serait, en matière de porte-fort, privé de la liberté qui lui est offerte pour l’ensemble des autres contrats… Une autre interrogation affleure alors : si tel est le cas, l’article 1204 al. 2 est-il d’ordre public ? Les parties peuvent-elles rétablir au profit du créancier le choix dont semble le priver ce texte ? Ce faisant, elles dénatureraient probablement le porte-fort qui encourrait sans doute un risque de requalification en cautionnement . Nul besoin cependant d’altérer la substance du porte-fort d’exécution pour rendre périlleuse sa qualification. Sa proximité avec d’autres mécanismes suffit à elle seule.

B. — La concurrence

Ainsi défini, le porte-fort sûreté est-il un mécanisme réellement original ? Il est acquis que le porte-fort d’exécution n’est pas un cautionnement, l’engagement du promettant n’étant pas accessoire de celui du débiteur. Il ne fait aucun doute que le porte-fort n’a rien de commun avec une garantie autonome, le promettant ne s’engageant aucunement à verser une somme à première demande, ou selon d’autres modalités, au bénéficiaire. Il est probable que le porte-fort puisse encore être différencié de la promesse de bons offices au regard du distinguo entre obligation de résultat et obligation de moyens. Deux figures contractuelles défient cependant ce jeu des sept différences entre le porte-fort et les autres garanties de la dette d’un tiers : la lettre d’intention et le ducroire.

Confusion avec la lettre d’intention. — La lettre d’intention est définie à l’article 2322 du code civil comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Il est donc peu dire que le mécanisme est extrêmement proche de celui du porte-fort d’exécution. Tout en admettant cette proximité, la doctrine insiste sur le fait que le porte-fort implique une obligation de résultat, là où la lettre d’intention laisse une plus grande latitude aux parties quant à la nature de l’obligation du confortant . Mais, lorsque la lettre d’intention renferme une obligation de résultat, il semble impossible de distinguer les deux figures contractuelles. Le porte-fort d’exécution ne serait donc qu’une variante de la lettre d’intention consacrée par le législateur en 2006 . Le Professeur Simler relève néanmoins que « le souscripteur d’une lettre d’intention de résultat promet son propre fait, alors que le porte-fort promet le fait du tiers débiteur » , avant d’admettre que les conséquences sont cependant identiques s’agissant d’une obligation de résultat. Poussant cette nuance, peut-être est-il permis d’envisager une distinction quant au quantum de l’indemnisation du créancier : le porte-fort, qui a promis le fait du tiers, est tenu des conséquences du manquement du tiers ; le confortant ne peut quant à lui être condamné qu’aux conséquences de sa propre défaillance. En d’autres termes, il serait loisible au confortant de démontrer que l’inexécution du tiers avait, à son égard, les caractéristiques de la force majeure ; sans avoir à démontrer un cas de force majeure empêchant l’exécution, par le débiteur, du contrat garanti. En toute rigueur, un tel raisonnement est impossible pour le promettant qui, pour se libérer, devrait prouver que les conditions de la force majeure étaient réunies à l’égard du tiers lui-même . On concèdera que la distinction est passée par l’alambic. En dépit de ces efforts pour différencier les deux mécanismes, il faut donc admettre qu’il n’y a, entre porte-fort d’exécution et lettre d’intention de résultat, que peu de place pour la nuance : la ressemblance est « furieuse » ainsi que l’a écrit Denis Mazeaud …

Confusion avec le ducroire. — La promiscuité est encore plus grande avec une notion, peu envisagée sous le prisme des sûretés, mais bien connue du droit de la distribution : la convention de ducroire. Celle-ci est habituellement présentée comme la convention « par laquelle un intermédiaire, mandataire, commissionnaire ou autre, garantit à son cocontractant l’exécution du contrat » . Cette définition est également celle du porte-fort d’exécution, certes transposée au domaine particulier des relations de distribution. Un auteur suggérait déjà, il y a plus de trente ans, d’analyser la convention du ducroire comme un porte-fort d’exécution , à une époque — il est vrai — où ce dernier n’était pas expressément consacré. Pour différencier les deux mécanismes, on a pu faire valoir que « le contenu de l’obligation que l’intermédiaire ducroire accepte de garantir est encore indéterminé au moment où il donne son consentement, contrairement au porte-fort qui promet l’exécution d’un contrat déjà négocié » . Pour intéressante qu’elle soit, la distinction n’emporte pas pleinement la conviction. Rien ne paraît interdire la conclusion d’un porte-fort garantissant l’exécution de contrats futurs ; pourvu que ceux-ci soient suffisamment identifiables . En pareil cas, la promesse de porte-fort d’exécution se doublerait alors utilement d’une promesse de porte-fort de ratification . En outre, que le ducroire porte généralement sur des contrats futurs là où le porte-fort garantit habituellement des contrats actuels relève du seul constat et n’emporte aucune différence de nature ni de régime. Tout comme le porte-fort, le ducroire implique une obligation de faire de résultat, dont l’inexécution est sanctionnée par l’octroi au créancier de dommages et intérêts . Sans doute faut-il conclure que le ducroire n’est autre qu’une forme particulière de porte-fort d’exécution, usitée dans les relations d’intermédiaires de commerce, d’aucun n’hésitant pas à définir le ducroire comme « celui qui se porte-fort qu’un tiers exécutera le contrat » .

Partant, la place du porte-fort d’exécution au sein des différentes garanties indemnitaires ressemble grandement à un inconfortable strapontin, cohabitant avec des voisins tantôt plus institutionnalisés, tantôt davantage ancrés dans la pratique des affaires… Son succès ne se dément toutefois pas, ce qui rend nécessaire l’examen des règles qui lui sont applicables.

II. — Un régime à bâtir

Du point de vue du créancier, le régime du porte-fort d’exécution a pour lui certains atours, qui tiennent principalement à la facilité de sa conclusion et à la rudesse de son exécution. L’engouement pour le porte-fort d’exécution doit beaucoup à l’instauration de nombreuses règles protectrices de la caution, que ce dernier permet (trop) facilement de contourner. L’absence de toute législation contraignante a cependant un revers : le régime du porte-fort d’exécution reste, sur de nombreux points, très largement nébuleux. Le régime du porte-fort d’exécution oscille ainsi entre efficacité (A) et obscurité (B).

A. — L’efficacité

L’efficacité du porte-fort d’exécution tient pour l’essentiel à l’éviction de la plupart des règles contraignantes entourant le cautionnement, ce tant au stade de la formation que de la mise en jeu de la garantie.

Absence de formalisme. — Chacun connaît les affres de la mention manuscrite imposée en matière de cautionnement qui ne cesse, depuis plus de dix ans, d’alimenter prétoires et recueils de jurisprudence, pour le plus grand bonheur de fidéjusseurs à la bonne foi souvent contestable. Le recours au porte-fort d’exécution permet assurément d’éviter de tels écueils. La Cour de cassation l’a affirmé avec force dans son arrêt du 18 juin 2013 s’agissant de la mention manuscrite prévue par l’article 1326, devenu l’article 1376. Ce texte ne concerne que celui qui s’engage à payer une somme d’argent ou à livrer un bien fongible : il est dès lors inapplicable au porte-fort qui implique une obligation de faire. Ce n’est que par un raisonnement hasardeux que la chambre commerciale avait pu affirmer le contraire en 2005 . Est également banni, s’agissant du porte-fort, l’encombrant formalisme des articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation, ces textes visant expressément celui qui s’engage « en qualité de caution ». C’est en somme le principe du consensualisme qui préside à la conclusion du porte-fort d’exécution : une simple clause, pourvu qu’elle soit suffisamment explicite, suffira à caractériser l’engagement. L’arme dans les mains du créancier est d’autant plus efficace lorsque le garant n’est autre que le dirigeant de la personne morale débitrice : une simple et unique signature permettra alors d’engager la société comme débiteur principal, et le patrimoine de son dirigeant au titre de la promesse de porte-fort… La situation a de quoi surprendre lorsqu’on imagine qu’en pareille situation pour un résultat similaire, le recours à un cautionnement aurait nécessité, à peine de nullité, la copie mot pour mot d’une pleine page d’écriture. En outre, par le recours au porte-fort, le créancier pourra avec soulagement échapper à la litanie de textes encadrant l’obligation d’information à l’égard de la caution durant la vie du contrat. En effet, l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, l’article 47— II de la loi du 11 février 1994, les articles L. 314-17, L. 333-1, L. 333-2 et R. 723-4 du code de la consommation, de même que l’article 2293 du code civil évoquent tous explicitement le « cautionnement » ou la « caution ».
Ce régime a naturellement de quoi séduire les rédacteurs de contrats par sa simplicité. Il a de quoi, en outre, attirer les plaideurs qui pourraient être tentés d’y voir une bouée de sauvetage à laquelle raccrocher certains cautionnements défectueux. Un cautionnement nul par application du formalisme consumériste des articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation ne peut-il pas se voir avantageusement requalifié en promesse de porte-fort valide ? La Cour de cassation répond, à juste titre par la négative : non seulement un tel raisonnement priverait de toute efficacité les règles protectrices de la caution, mais plus encore, il revient à nier la différence de nature entre l’obligation indemnitaire du promettant et celle, accessoire, de la caution.

Relativité du caractère accessoire. — Les charmes du porte-fort d’exécution ne se limitent pas à l’éviction du formalisme informatif. Dans l’hypothèse où la garantie viendrait à être mobilisée, le créancier semble là encore dans une situation plus confortable que celui bénéficiant d’un cautionnement. L’article 2313 du code civil permet à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, à l’exception de celles qui sont purement personnelles au débiteur. Le porte-fort, pour sa part, n’est en rien une sûreté accessoire, si bien que l’opposabilité des exceptions est pour l’essentiel écartée. La jurisprudence avait consacré la règle avec force dans un arrêt du 25 janvier 2005 à propos d’un porte-fort de ratification : « la promesse de porte-fort est un engagement personnel autonome d’une personne qui promet à son cocontractant d’obtenir l’engagement d’un tiers à son égard » un tel engagement n’étant aucunement affecté par le sort de l’obligation relevant du fait promis. En d’autres termes, la promesse de porte-fort d’exécution d’une obligation nulle peut demeurer valable. La solution est identique s’agissant d’une promesse de porte-fort prise pour une société en formation : le promettant reste tenu, quoique la société n’ait pas acquis la personnalité morale . De façon moins surprenante, est encore valable le porte-fort d’exécution d’obligations souscrites par un incapable . Il faut cependant se garder de conclure de ces quelques décisions que le porte-fort serait totalement indépendant de l’obligation garantie : « autonome, l’engagement du porte-fort [est] accessoire » avait titré, espiègle, Nicolas Dissaux. S’il n’est pas un cautionnement, le porte-fort n’est pas davantage une garantie autonome. Un certain nombre d’exceptions affectant l’obligation garantie semblent de nature à faire tomber le porte-fort dans la mesure où elles auront une incidence sur l’objet même du porte-fort ou à tout le moins sur le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution . Le Professeur Simler estime ainsi que l’obligation du porte-fort ne saurait survivre « à une extinction de la dette par prescription, compensation, confusion ou même par novation » . Il serait en effet douteux que le promettant soit plus durement traité que le coobligé solidaire ou le débiteur substitué . À la lecture des nouveaux articles 1315 et 1328, il semble ainsi permis d’ajouter à la liste précédente l’exception d’inexécution et la résolution (aux torts du créancier). Ces hypothèses semblent confirmées par les décisions rendues en matière de convention de ducroire. Le ducroire peut en effet se prévaloir de vices cachés qui affecteraient la marchandise livrée par le créancier  ; il est encore libéré par la compensation . On se hasardera à penser que promettant ou ducroire devraient encore pouvoir utilement se prévaloir de la caducité des obligations garanties, ou de la remise de dette consentie par le créancier au débiteur. Quant à la nullité de la convention garantie, sans doute convient-il de distinguer selon que l’annulation est due au fait du débiteur ou à celui créancier . Il n’en reste pas moins que la protection du promettant est bien plus aléatoire que celle de la caution, l’opposabilité des exceptions faisant ici figure… d’exception . Enfin, contrairement à la caution, le promettant ne peut en principe se prévaloir d’aucun mécanisme similaire à celui institué par l’article 2290 du code civil plafonnant le montant des sommes qu’il pourrait devoir au créancier. Ceci résulte logiquement du caractère indemnitaire de la promesse de porte-fort d’exécution et de l’application des règles de la responsabilité civile contractuelle telles qu’elles résultent désormais des articles 1231 et suivants du code civil. Le promettant pourra ainsi se voir condamné à des dommages et intérêts plus importants que l’obligation pécuniaire garantie, voire indexés sur une éventuelle clause pénale.

Si certaines règles sont ainsi clairement écartées, le plus souvent au bénéfice du créancier, l’interrogation demeure permise quant à l’application au porte-fort de divers mécanismes protecteurs de la caution. Sur bien des points, le régime du porte-fort d’exécution paraît incertain, ce qui n’est pas la moindre des tares pour un mécanisme utilisé à des fins de sûreté…

B. — L’obscurité

Un épais brouillard entoure l’application au porte-fort de multiples règles, pourtant fort classiques en droit des sûretés. Le doute règne quant à la mesure de l’étendue de l’engagement du promettant, quant à ses éventuels recours après paiement, et plus encore quant à son sort en cas de procédure collective affectant le tiers dont il a promis l’exécution.

Étendue de l’obligation du promettant. — Lorsque le promettant est marié sous le régime de la communauté légale, la question de l’application de l’article 1415 au porte-fort peut légitimement susciter le débat. Ce texte, issu de la loi du 23 décembre 1985, dispose qu’un époux commun en biens ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par la conclusion d’un cautionnement, à moins que son conjoint n’y consente expressément. L’article vise expressément le cautionnement ce qui, en toute rigueur, devrait conduire à refuser son application au porte-fort. La question a cependant déjà été tranchée en faveur d’une application extensive pour d’autres sûretés personnelles, telles que la garantie autonome ou l’aval . Outre qu’à l’époque de l’adoption de ce texte, le code civil ne connaissait pour toute sûreté personnelle que le cautionnement, un argument a fortiori peut être mobilisé : le risque encouru par les époux est au moins aussi grand s’agissant d’une garantie autonome, d’un aval ou d’une porte-fort d’exécution que d’un cautionnement. Tout porte donc à croire que l’article 1415 pourrait être invoqué avec succès en matière de porte-fort . Il y a cependant un certain paradoxe à exclure l’application du formalisme consumériste au motif qu’il vise la caution et à admettre l’application de l’article 1415 qui en fait de même.
La question de l’extension de devoir de mise en garde du créancier ainsi que de l’exigence de proportionnalité suscite de pareilles incertitudes. Rien ne semble, de prime abord, s’opposer à l’extension du devoir de mise en garde découvert par la jurisprudence au profit de la caution non avertie . L’hypothèse d’un promettant non averti demeure cependant marginale si l’on songe que le porte-fort d’exécution trouve sa terre de prédilection en droit des sociétés et plus largement en droit des affaires. La question de l’application de l’article L. 332-1 du code de la consommation au porte-fort soulève en revanche des enjeux autrement plus conséquents. Il n’en reste pas moins que, tout comme les articles L. 331-1 et L. 331-2, ce texte vise — là encore — expressément le cautionnement, à l’exclusion de toute autre sûreté. S’agissant d’une sûreté indemnitaire, l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement du promettant se heurterait par ailleurs à des difficultés pratiques difficilement surmontables, l’étendue de ses obligations n’étant par hypothèse connue qu’au moment de la mobilisation de la garantie. Partant, on serait tenté d’exclure l’application de ce texte .

Procédures collectives. — Les difficultés croissent encore de façon exponentielle si l’on songe à la confrontation du porte-fort sûreté avec le droit des procédures collectives, ce qui — eu égard à sa fonction de sûreté — semble pour le moins incontournable. Une série de textes du Livre VI du code de commerce, pour la plupart issus de l’ordonnance du 18 décembre 2008 , fait ainsi référence à la notion de « sûreté personnelle » : c’est notamment le cas des articles L. 611-10-2, L. 622-11, L. 622-26 et L. 622-28, L. 626-11, L. 631-14, L. 631-20 et L. 643-11 du code de commerce. La question de la qualification du porte-fort d’exécution se pose alors avec une acuité renouvelée. Certes, le porte-fort d’exécution n’est en rien évoqué au le Titre Ier du Livre IVe du code civil, pourtant consacré aux sûretés personnelles. Pas plus l’article 2287-1, qui liste les différentes sûretés personnelles envisagées par ce Titre n’y fait référence. Toutefois, le porte-fort d’exécution remplit d’évidence la même fonction que celle d’une sûreté personnelle dont il a toutes les caractéristiques . Il semble donc inévitablement falloir en conclure que les textes précités sont applicables au porte-fort d’exécution . Cette solution devrait notamment conduire à décider que le promettant bénéficie de la suspension et de l’arrêt des poursuites lors de l’ouverture de la procédure collective , du bénéfice de l’accord obtenu dans le cadre d’une procédure de conciliation , des délais et remises consenties dans le cadre d’un plan de sauvegarde , ou encore de l’inopposabilité, pendant l’exécution du plan, des créances non régulièrement déclarées .
La confrontation du porte-fort d’exécution avec les nullités de la période suspecte est encore davantage détonante… Un auteur s’interroge ainsi sur le sort qui pourrait être réservé au promettant dans l’hypothèse où le paiement effectué par le débiteur en période suspecte viendrait à être annulé en raison de son mode anormal , de la connaissance par le créancier de la cessation des paiements ou encore en ce qu’il concerne une dette non échue . On pourrait en outre envisager le cas d’une application des nullités de la période suspecte à l’ensemble du contrat pour l’exécution duquel le promettant s’est porté fort, ce qui renvoie au débat quant à l’(in)opposabilité des exceptions par le promettant …

Recours après paiement. — Ce régime nébuleux se double d’un véritable trou noir s’agissant des recours après paiement du promettant. Aucune décision ne semble avoir été rendue en la matière. Peu d’auteurs se sont intéressés spécifiquement à cette question . Celle-ci se pose toutefois en des termes relativement analogues à propos de la lettre d’intention . En pareil cas, l’existence d’un recours personnel est majoritairement admise par la doctrine , en dépit du caractère relativement évanescent de son fondement. Les Professeurs Zenati-Castaing et Revet suggèrent pour leur part que le recours du promettant pourrait être de nature délictuelle, les manquements contractuels du débiteur à l’égard du créancier revêtant à l’égard de celui-ci une nature délictuelle . Il y aurait là une application audacieuse du nouvel article 1200 alinéa 2. L’existence d’un recours subrogatoire au profit du promettant se pose en des termes différents depuis l’ordonnance du 10 février 2016, dont la volonté a manifestement été de poursuivre l’œuvre prétorienne dans le sens d’un élargissement des cinq cas de subrogation légale visés par l’ancien article 1251 du code civil. Ainsi, au terme du nouvel article 1346 du code civil, « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette ». La formule est certes assez large et générale. Il n’en reste pas moins qu’elle n’embrasse qu’imparfaitement le paiement réalisé par le promettant : d’une part celui-ci n’acquitte pas la dette du débiteur, mais bien une obligation indépendante ; d’autre part son paiement résulte davantage de la mise en jeu de sa propre responsabilité contractuelle que d’une volonté de libérer envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette. La ratio legis devrait cependant conduire à la reconnaissance d’un tel recours subrogatoire au profit du promettant.

La route du créancier vers le paiement a souvent, notamment en matière de cautionnement, les allures d’un long chemin de croix… Pour être ardu, le chemin n’en reste pas moins connu et relativement balisé. À l’inverse, le porte-fort d’exécution a tous les charmes d’un astucieux raccourci. Ceux qui l’empruntent le font cependant au risque de se perdre sur un sentier qui reste encore, par endroits, à défricher… L’élaboration, à la faveur d’une hypothétique réforme, d’un régime commun aux sûretés personnelles voire aux sûretés de la dette d’autrui pourrait bien permettre d’y remédier, à condition toutefois que le porte-fort d’exécution quitte définitivement le droit commun pour entrer pleinement dans le droit des sûretés.

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