Le principe de précarité des autorisations domaniales : vers un changement de paradigme ?

Longtemps, le principe juridique de précarité des occupations privatives a pu apparaître comme un dogme indépassable. On trouve dans cette règle, issue des principes généraux de la domanialité publique et aujourd’hui codifiée à l’article L. 2122-3 Code général de la propriété des personnes publiques, la logique de protection qui imprègne, depuis l’édit de Moulins, le régime juridique du domaine public (CE, 13 mars 1903, Cie d’Orléans c/ Sieur François). Les autorisations étant précaires et révocables, l’administration peut y mettre fin pour différents motifs : arrivée du terme, désaffection du bien, violation des clauses contractuelles ou pour tout motif d’intérêt général.
Le particularisme de la domanialité publique lié au principe de précarité des occupations privatives semble aujourd’hui largement atteint. La recherche de valorisation économique du domaine public a conduit en effet à sécuriser la situation des opérateurs économiques qui l’occupent pour y développer leurs activités. « (…) la sécurité économique du domaine passe aussi par la protection de ses occupants. La sécurité économique du domaine requiert la sécurité juridique de ses utilisateurs » (Jacqueline Morand-Devillier, La valorisation économique du domaine public », Mélanges en l’honneur de Roland Drago. L’unité du droit, Paris, Economica, 1996, p. 274). Là se situe le début du changement de paradigme dans le régime juridique des occupations privatives du domaine public.
Même si cela reste une exception, la spécificité matérielle des fréquences hertziennes a conduit par exemple à l’adaptation des règles de la domanialité publique. Les autorisations d’utilisation de fréquences sont « créatrices de droit » pour leurs titulaires, ce qui atténue leur précarité (CE, sect., 10 oct. 1997, n° 134766, Strasbourg FM : JurisData n° 1997-050920 ; AJDA 1997, p. 1014 ; RFDA 1998, p. 29 concl. V. Pécresse ; CE, 30 juin 2006, n° 289564, Société Neuf Télécom : JurisData n° 2006-070410 ; Lebon 2006, p. 309 ; AJDA 2006, p. 1720, note A. Sée et p. 1703, chron.). Un véritable « droit au renouvellement » des autorisations a été aménagé (T. Pez, Le domaine public hertzien, LGDJ, 2011, p. 47). Il est justifié par l’importance des investissements requis pour l’exploitation des fréquences attribuées. Alors que la durée des autorisations ne durait que quinze ans, le Gouvernement a décidé le 16 octobre 2001 que l’autorisation d’occupation des fréquences allait être portée à 20 ans.
De manière plus générale, suite à l’altération des prérogatives de puissance publiques inhérente à l’influence européenne (C. Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, LGDJ, coll. Bibl. des Thèses, 2015), on a l’impression que la logique des rapports domaniaux s’est inversée. Plusieurs évènements : multiplication des possibilités de constitution de baux emphytéotiques, nouvelle obligation de publicité et de mise en concurrence des occupations privatives, faculté d’indemnisation en cas de non-renouvellement de l’occupation dans le cadre contractuel, semblent démontrer que la « part du risque » (économique) ne semble plus être supporté par l’occupant privatif mais par… l’autorité publique elle même qui vit désormais dans un contexte pluriel d’incertitude. Parallèlement, les services juridiques de certaines communes appréhendent quelque peu l’application de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 qui transpose les exigences européennes de transparence des procédures d’attribution pour pouvoir l’appliquer. Ce sont pour elles un futur casse-tête juridique. Il faut dire que les habitudes et le confort relatif au pouvoir discrétionnaire sont durs à changer… Auparavant soucieux d’assurer l’exercice souverain de la puissance publique, le droit des titres d’occupation s’est orienté vers la préservation de l’impartialité dans les procédures qui aboutissent à leur délivrance.
Les suites de l’important arrêt Commune de Port-Vendres (CE, 25 janv. 2017, n° 395314, Commune de Port-Vendres : JurisData n° 2017-000957 ; JCP A 2017, act. 98 ; JCP A 2017, 2054) sont enfin très attendues. Même si le Conseil d’État se garde bien de consacrer un droit acquis au renouvellement des titres domaniaux, la portée de cet arrêt qui admet le renouvellement des titres domaniaux dans certaines circonstances, pourrait avoir des conséquences redoutables et inextricables en matière de gestion du domaine public. Comme l’explique Norbert Foulquier, « ce n’est pas seulement au bénéfice des services de l’État, ni même des services publics des autres collectivités territoriales que le droit au renouvellement est consacré, mais au bénéfice de tous les occupants du domaine, même ceux qui n’y exercent que des activités purement commerciales ou industrielles (…) à se demander si les dépendances du domaine public n’incorporeraient pas une nouvelle affectation complémentaire : la contribution au développement économique de leurs occupants en place » (AJDA 2017, p. 1237). Cela pourrait entrainer un risque de « cristallisation » des situations des opérateurs économiques sur le domaine public, ce qui est totalement contraire à la nouvelle obligation de mise en concurrence et à l’« esprit » propriétariste du CGPPP. Là encore, on constate que la logique économique est totalement inversée. On a l’impression que le droit de l’occupant est plus important que les motivations économiques des autorités publiques. Le risque de perte de maitrise dans la gestion du domaine semble être en train de se substituer aux risques liés à la précarité des occupations privatives du domaine public. Le Conseil d’État serait peut-être bien inspiré de redessiner à l’avenir de manière plus claire les contours du principe de précarité et de préciser la portée de cette jurisprudence inédite.

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