Un récent arrêt de la Cour de cassation invite à revenir sur le thème pourtant rebattu de l’obligation de loyauté dans les contrats de distribution. Comme souvent en matière de contrat de franchise, c’est un arrêt non publié au bulletin qui éclaire le débat d’un jour nouveau. L’affaire ayant donné lieu à cette décision débute au début des années 2000 au sein du fameux réseau de boulangeries-pâtisseries « Paul ». La société Holder, à la tête du réseau, signait le 1er juin 2004 avec la société Ginvest — devenue par la suite Groupe Gilarski — un protocole-cadre visant à assurer le développement de l’enseigne dans le sud-est de la France par l’implantation de nouveaux établissements franchisés sous l’impulsion de la société Ginvest. Cette dernière se voyait accorder l’exclusivité du développement en franchise de l’enseigne Paul, sur un territoire correspondant à plusieurs départements de la Côte d’Azur. Elle s’engageait en contrepartie à rechercher et sélectionner des emplacements de magasins, à les soumettre à l’agrément du franchiseur ; ce afin de parvenir à l’objectif d’ouverture et d’exploitation de 18 nouveaux points de vente dans le cadre de contrats de franchise, par l’intermédiaire de sociétés d’exploitation qui devaient être constituées à cet effet.
C’est ainsi qu’entre 2004 et 2006, trois EURL — respectivement dénommées Gilon, Giblan et Gimaud — étaient créées par la société Ginvest afin d’ouvrir et d’exploiter, directement ou par le biais de contrats de location-gérance, sept nouveaux établissements franchisés du réseau Paul. La signature des contrats de franchise était précédée de la remise d’un document d’information précontractuelle auquel était annexé un compte prévisionnel comportant des ratios d’investissements établis par le franchiseur ainsi qu’un prévisionnel de chiffre d’affaires détaillé. Ces contrats de franchise étaient doublés d’un contrat d’approvisionnement auprès d’une filiale de la société franchiseur. Par filiale interposée là encore, le franchiseur était également propriétaire des locaux dans lesquels s’installaient certains magasins franchisés, dont il avait en outre assuré la maîtrise d’œuvre pour la réalisation des travaux d’aménagement.
À compter de 2006, les trois sociétés franchisées devaient connaître d’importantes difficultés financières, compromettant ainsi la poursuite du développement prévu dans le cadre de la convention conclue le 1er juin 2004. Au début de l’été 2006, les parties se rapprochaient afin de négocier un protocole visant à rétablir la situation financière du franchisé. L’échec de ces négociations, en dépit de la nomination d’un conciliateur par le Président du tribunal de commerce, débouchait sur la délivrance par le franchiseur d’une assignation en référé visant à ce que soit constatée l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans le contrat du 1er juin 2004 du fait du non-respect des objectifs de développement. Tenant l’existence de contestations sérieuses, le juge des référés renvoyait les parties à mieux se pourvoir par ordonnance du 29 septembre 2006. Un mois plus tard, le franchiseur assignait au fond devant le tribunal de commerce de Paris. Entre février 2007 et janvier 2008, les trois sociétés franchisées étaient placées en procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Cannes
C’est dans ce contexte qu’à partir de 2009, le franchiseur décidait de ne pas renouveler les contrats de franchise à leur terme initial de 5 ans. En 2010, le Tribunal prononçait la résolution du plan de sauvegarde de la société Gimaud et plaçait cette dernière en liquidation judiciaire. La société Giblan était pour sa part rachetée pour l’euro symbolique au groupe Gilarski par le franchiseur. Seule la société Gilon poursuivait son activité commerciale, sous une autre enseigne, dans le cadre d’un plan de continuation, non sans avoir été contrainte de céder certains points de vente à d’autres franchisés du réseau Paul ou à des filiales du franchiseur.
C’est dans ce contexte que le tribunal de commerce de Paris statuait, le 26 septembre 2012, sur l’assignation au fond délivrée à l’initiative du franchiseur par lequel ce dernier sollicitait notamment la constatation de l’acquisition à son profit de la clause résolutoire insérée dans le contrat de développement du 1er juin 2004. Les juges consulaires déboutaient la tête de réseau de l’ensemble de ses demandes et faisaient droit à la plupart des demandes reconventionnelles formulées par les sociétés du groupe franchisé. Estimant que le contrat de développement conclu en juin 2004 avait été résilié de façon irrégulière par le franchiseur, le tribunal de commerce condamnait cette dernière à l’indemnisation de divers préjudices, nés de manquements contractuels et extracontractuels, pour un montant total de plus d’un million d’euros. Sur appel interjeté par le franchiseur, la Cour d’appel Paris confirmait l’essentiel de la décision des premiers juges, tout en modifiant substantiellement le calcul de l’indemnisation des sociétés du groupe franchisé. À l’égard de la société signataire du protocole de développement, le franchiseur était condamné à l’indemnisation de la perte de chance de poursuivre l’ouverture de nouveaux points de vente. Comme en première instance, la résiliation de cette convention était en effet jugée fautive et contraire au devoir de loyauté. À l’égard des sociétés franchisées, le franchiseur était condamné, au titre de manquements à son obligation précontractuelle d’information, à indemniser, pour la première société placée en sauvegarde, les frais d’emprunt et de procédure collective ; l’ensemble des pertes, dettes et frais de procédure collective pour la seconde société, placée en liquidation judiciaire. Les dirigeants de ces sociétés se voient en outre octroyer 75 000 € au titre de leur préjudice moral.
La décision était frappée d’un pourvoi articulé autour de quatre moyens. Deux seront considérés comme n’étant pas de nature à entraîner la cassation. Deux branches du premier et du deuxième moyen feront en revanche l’objet d’un examen plus approfondi. Le premier moyen reprochait à la cour d’appel d’avoir pu considérer comme fautive la rupture du protocole de développement, là où le franchiseur prétendait n’avoir fait qu’appliquer une clause résolutoire, convenue et acceptée par les deux parties. Le contrat ne prévoyait aucune obligation de renégociation à la charge de la tête de réseau et, tout au contraire, prévoyait en cas de non-réalisation des objectifs sa résiliation de plein droit. Dès lors, selon le pourvoi, la cour d’appel aurait méconnu le principe de la force obligatoire et de l’intangibilité des conventions. Aussi sérieux qu’ils puissent paraître, ces arguments n’emportent pas la conviction des hauts magistrats.
Le deuxième moyen contestait pour sa part l’indemnisation octroyée aux sociétés franchisées au titre de supposés manquements du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information. La huitième branche de ce deuxième moyen, qui rappelle que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la seule perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses fait, elle, mouche et entraîne la cassation.
Cette tentaculaire affaire a le mérite de fournir un condensé de diverses problématiques particulièrement récurrentes dans les contrats de franchise s’agissant du DIP et plus largement de la loyauté dans la phase de négociation et de conclusion du contrat (I). Elle offre en outre l’occasion à la Cour de cassation de prendre une position audacieuse s’agissant des incidences de l’obligation de loyauté pendant la phase contractuelle (II).
I – Loyauté dans la phase précontractuelle : la constance de la Cour de cassation
S’agissant des manquements du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, l’arrêt rapporté ne surprend guère. Tout au contraire, il s’inscrit dans la droite ligne d’un courant jurisprudentiel ancien et d’un contentieux toujours extrêmement abondant. Les données en sont parfaitement connues, si bien qu’il est possible de ne les rappeler que très brièvement. L’article L. 330-3 du code de commerce impose au franchiseur la communication préalable à la signature du contrat de diverses informations, d’intérêt très variable, dont la liste exhaustive est fixée par l’article L. 330-1 du code de commerce. Au sein de cet inventaire à la Prévert, ne figure pas l’obligation pour le franchiseur de communiquer à son cocontractant un prévisionnel de chiffre d’affaires. Néanmoins, allant au-delà de leurs obligations, certains réseaux avaient pris pour habitude de communiquer un tel document à leurs futurs franchisés. Ainsi utilisés comme de véritables instruments marketing davantage que comme un élément objectif d’information, ces prévisionnels s’avèrent bien souvent inexacts, fréquemment exagérés et parfois totalement irréalistes. La tentation est alors grande pour le franchisé — ou son liquidateur — de tenter d’engager la responsabilité du franchiseur pour manquement à son obligation précontractuelle d’information. La Cour de cassation rend possible une telle action, estimant que bien qu’il n’existe en droit spécial aucune obligation pour le franchiseur de fournir de tels prévisionnels, leur communication volontaire implique, sur le fondement du droit commun, que ces derniers soient établis de manière sincère et loyale[1]. La jurisprudence a en outre eu l’occasion de préciser la sanction encourue par le franchiseur dans l’hypothèse de prévisionnels irréalistes[2]. L’articulation d’un tel comportement avec la théorie des vices du consentement est source de multiples difficultés : que le franchisé invoque une erreur, celle-ci porte sur la rentabilité qui n’est qu’une facette de la valeur ; quand bien même l’erreur sur la valeur ne rebutera pas les juges, il sera peut-être opposé au franchisé qu’une telle erreur sur la rentabilité de son futur commerce est inexcusable pour un entrepreneur ; que le franchisé invoque le dol, il lui faudra rapporter la preuve de l’intention dolosive du franchiseur dont la faute est bien souvent non-intentionnelle et résulte fréquemment du fait d’un tiers – cabinet d’expertise comptable notamment. L’indemnisation, par le biais de la responsabilité civile délictuelle du franchisé victime de prévisionnels exagérément optimistes n’est guère plus aisée. Se pose alors la question du préjudice réparable alors que ce type de contentieux survient généralement à un moment où la société franchisée est déjà placée en liquidation judiciaire, ou à tout le moins en procédure collective. Faire le départ entre ce qui relève de la responsabilité du franchiseur et les pertes qui peuvent être imputables à d’autres facteurs est un exercice toujours périlleux pour plaideurs et juges du fond. Sur ces diverses questions, l’arrêt est riche d’enseignements.
D’un point de vue stratégique tout d’abord, on remarquera le choix des franchisés de délaisser toute demande d’annulation des contrats de franchise, pour ne se focaliser que sur l’indemnisation de leur préjudice résultant d’une faute précontractuelle. Le choix ne peut qu’être approuvé, tant ils faisaient ainsi l’économie d’un débat complexe et sans intérêt – pratique et financier au moins. D’un point de vue factuel ensuite, la lecture de l’arrêt d’appel permet de mettre en lumière la spécificité du litige en l’espèce. En effet, le protocole de développement, contrat sui generis indépendant du contrat de franchise (et auquel les sociétés franchisées étaient tiers), prévoyait à la charge de la tête de réseau une obligation de conseil, d’assistance et de mise en garde spécifique dans le cadre du déploiement de l’enseigne. Les contrats de franchise comportaient en outre un article 4.3.2 prévoyant expressément que le compte prévisionnel était élaboré par le franchisé en collaboration avec le franchiseur, ce dernier s’engageant contractuellement à communiquer le compte de résultat moyen du réseau, qui devait servir de base à l’élaboration des prévisionnels. La preuve de la responsabilité du franchiseur était donc grandement facilitée. Le fait que celle-ci ait été retenue par la Cour d’appel sans que ce point ne fasse l’objet d’aucune censure de la part de la Haute Cour ne surprend donc pas.
Un élément supplémentaire aurait cependant mérité d’être purgé. Se posait en effet la question de la qualité du franchisé, dont le dirigeant pouvait se prévaloir d’une grande expérience dans le domaine des franchises de restauration rapide – il avait successivement occupé d’importantes responsabilités aux sein des réseaux Mc Donald’s et Pizza Del Arte. Cette expérience n’aurait-elle pas dû l’alerter sur le caractère erroné des chiffres fournis par la tête de réseau ? On sait que la jurisprudence de la Cour de cassation s’attache à distinguer franchisés profanes et franchisés avertis[3], réservant aux seuls premiers la possibilité d’obtenir réparation du préjudice lié à une information précontractuelle erronée. La septième branche du second moyen invitait d’ailleurs implicitement la Cour de cassation à censurer l’arrêt d’appel au visa de cette jurisprudence, sans emporter la conviction des Hauts magistrats. Il est vrai que la cour d’appel avait pris soin de motiver abondamment sa décision sur ce point, alors que le pourvoi n’y référait que par allusion. La cour d’appel de Paris réfutait ainsi que le professionnalisme du franchisé soit de nature à exclure toute erreur : « il contractait avec un franchiseur très confirmé et rien ne pouvait lui permettre de douter du sérieux de son cocontractant qui avait une expérience, une maîtrise et un savoir-faire technique et commercial éprouvés depuis de nombreuses années, alors que […] [le franchisé] ne connaissait pas cette franchise avant la signature du contrat ». On lit en filigrane le nouvel article 1112-1 du code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Le franchisé était à l’évidence dans la seconde branche de cette alternative. Au reste, bien que bénéficiant d’une solide connaissance du monde de la franchise, le franchisé était en revanche totalement étranger à celui de la boulangerie-pâtisserie : on peut donc légitimement douter qu’il ait été en capacité de spontanément remettre en cause les ratios moyens par produits communiqués par la tête de réseau.
L’apport principal de l’arrêt ne se situe cependant pas tant sur le principe de la responsabilité que sur ses conséquences. Celles-ci diffèrent pour chacune des deux sociétés franchisées, l’une, placée sous sauvegarde, étant in bonis, l’autre en liquidation judiciaire au moment où la cour statue. Concernant la société franchisée placée en sauvegarde, la cour d’appel avait considéré qu’elle pouvait faire état « du préjudice résultant des frais d’emprunt complémentaires qu’elle a dû supporter, faute d’avoir été informée sur les montants exacts des investissements qu’elle devait engager » ainsi que des frais engagés dans la procédure de sauvegarde dont la faute du franchiseur est « à l’origine directe ». Pour la société en liquidation, la cour d’appel avait indemnisé l’ensemble des pertes ainsi que la totalité du passif et des frais de la procédure collective. Le raisonnement des magistrats de la cour d’appel de Paris est sous-tendu par la conviction que, correctement informés, les franchisés ne se seraient jamais lancés dans une telle entreprise. L’idée selon laquelle les manquements à l’obligation précontractuelle d’information seraient la cause directe du préjudice revient à plusieurs reprises sous la plume des juges du fond. Le raisonnement est cependant biaisé : rien ne permet d’affirmer que, correctement informé, il est certain que le franchisé ne se serait pas engagé. Plus encore, du fait des engagements contractés dans le cadre du contrat de développement, le groupe franchisé n’avait d’autre choix que d’ouvrir lesdits magasins. A défaut, la société Groupe Gilarski, signataire du protocole de développement, violait ses propres engagements contractuels. Le franchisé n’avait donc – juridiquement au moins – d’autre choix que de procéder auxdites ouvertures. Mieux informé, peut-être l’aurait-il fait dans d’autres circonstances et à d’autres conditions. Dès lors, seule une perte de chance pouvait être indemnisée. La solution est extrêmement classique, en droit commun des contrats, et plus spécifiquement en matière de contrat de franchise[4]. On remarquera cependant que la perte de chance est généralement utilisée pour censurer les juges du fond ayant cru devoir octroyer réparation du différentiel entre les gains promis et les gains réalisés[5]. La censure de décisions ayant indemnisé l’intégralité des pertes subies est en revanche plus rare.
La formule utilisée par l’arrêt laisse en outre planer deux interrogations quant à sa portée. La première incertitude est relative à la pérennité de cette solution dans l’hypothèse où la nullité du contrat serait prononcée. Plus que l’indemnisation d’une perte de chance, c’est en l’occurrence le retour au statu quo ante qu’il conviendrait d’obtenir. Or, s’agissant de la société en liquidation judiciaire, replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées si le contrat n’avait pas été conclu ne peut que difficilement faire l’économie d’une indemnisation de l’intégralité du passif… La jurisprudence ne semble cependant pas opérer une telle distinction, et la Cour de cassation a par le passé appliqué la notion de perte de chance de ne pas contracter en matière de dol[6]. La seconde hésitation tient à l’alternative laissée par la Cour de cassation : le préjudice serait constitué par « la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ». Dans un arrêt du 10 juillet 2012, la même chambre commerciale a pourtant sévèrement censuré une décision qui avait octroyé réparation de la perte de chance de ne pas conclure le contrat alors que le demandeur n’avait pas sollicité la nullité dudit contrat sur le fondement du dol. Les termes de la Cour de cassation étaient alors dépourvus de toute ambiguïté : « [le requérant] ayant fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses »[7]. Approuvant cette décision, le Professeur Fages l’expliquait en ces termes : « [le cocontractant victime de la réticence dolosive] ayant lui-même décidé de demeurer contractuellement lié à l’auteur du dol, il ne peut donc percevoir une indemnisation correspondant à la perte de chance de ne pas contracter avec lui ou, ce qui veut dire la même chose, de conclure une meilleure opération avec un tiers »[8]. Pourquoi notre arrêt offre-t-il alors cette possibilité au franchisé ? Peut-être parce que l’absence de toute demande en nullité du contrat ne résulte pas ici d’un choix délibéré, mais de l’impossibilité de démontrer une erreur ou un dol… Si tel est le cas, il est néanmoins surprenant que la victime d’un « simple » manquement à l’obligation précontractuelle d’information jouisse de possibilités qui sont refusées à la victime d’un dol caractérisé… Même en matière d’obligation précontractuelle d’information où il paraît n’être qu’un simple rappel d’une jurisprudence bien établie, cet arrêt laisse donc planer quelques doutes. Il en va de même concernant l’obligation de loyauté dans l’exécution du contrat où la solution retenue semble bien plus innovante et audacieuse.
II – Loyauté dans la phase contractuelle : l’audace de la Cour de cassation
Si la question de l’information précontractuelle concernait les contrats de franchise, la problématique de la loyauté dans l’exécution du contrat est posée dans le cadre du contrat de développement, par lequel le franchiseur avait réservé au groupe du franchisé l’exclusivité de la franchise dans plusieurs départements, en contrepartie de l’engagement d’ouvrir un nombre déterminé d’établissements dans ce secteur en un temps limité.
Au vu des difficultés rencontrées par le groupe franchisé, celui-ci n’avait pu réaliser ces objectifs, ce qui avait conduit, après l’échec de négociations entre les parties, la tête de réseau à mettre en œuvre la clause résolutoire de plein droit insérée dans le contrat de développement. La cour d’appel avait fustigé cette attitude, considérée comme contraire au devoir de loyauté et exclusive de toute bonne foi. Le premier moyen critiquait cette motivation, estimant que le franchiseur n’avait fait qu’appliquer les stipulations contractuelles, et notamment l’article 3 du contrat de développement qui prévoyait : « au cas où [les] minima d’ouverture de magasins ne seraient pas atteints […] la société Holder [le franchiseur] pourra si bon lui semble mettre fin à l’exclusivité territoriale à moins qu’elle ne choisisse […] de résilier la présente convention dans son ensemble par application de l’article 6 ci-après ». La décision de la cour d’appel reviendrait à priver la tête de réseau de faire usage de cette clause et, partant, la contraindrait à poursuivre ou à renégocier un contrat contre sa volonté et en contradiction avec les termes de la convention. Ce faisant, la cour d’appel aurait méconnu la force obligatoire du contrat et le principe d’intangibilité des conventions violant l’article 1134 (ancien) du code civil.
Dans un attendu ciselé, la Cour de cassation rejette le pourvoi et précise « qu’après avoir relevé que le plan de développement convenu ne pouvait être réalisé qu’avec la collaboration étroite et loyale des parties et que l’ouverture de nouveaux magasins sous franchise restait nécessairement associée à la réussite des exploitations, la société Holder, franchiseur, ayant le pouvoir de vérifier les conditions d’implantation à cette fin et de refuser un projet, s’il ne répondait pas à cet objectif, la cour d’appel, sans obliger la société Holder à renégocier le protocole, a pu retenir que la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables ». Les amateurs de paradoxes goûteront particulièrement cette motivation : en substance, sans obliger le franchiseur à renégocier le protocole, la cour d’appel a pu retenir que la loyauté imposait de négocier et de proposer des conditions acceptables… La contradiction n’est cependant qu’apparente. Une première interprétation consisterait à avancer que ce n’est pas la cour d’appel, mais la seule loyauté qui imposait une renégociation… L’argument serait particulièrement sophistique et l’on peut légitimement douter que tel soit ce que veut signifier la Cour de cassation. Dans une seconde analyse, il est permis de remarquer que la renégociation imposée par la loyauté ne portait pas nécessairement sur le contrat de développement lui-même, mais bien sur les conditions d’ouverture des nouveaux points de vente. En effet, la cour d’appel avait pu relever que « l’objet du contrat de plan de développement ne peut être réalisé qu’avec la collaboration étroite et loyale des parties ». Ainsi, les ouvertures contractuellement prévues par le contrat de développement ne pouvaient être que « le fruit de décisions et d’initiatives communes ». Le franchiseur avait par ailleurs un rôle majeur dans ce processus puisque son agrément était nécessaire avant toute ouverture afin qu’il puisse « vérifier qu’étaient réunies les conditions d’implantation pour la réitération de la réussite commerciale de l’enseigne ». Dès lors, le protocole donnait le cas échéant au franchiseur le pouvoir de refuser toute ouverture qu’il aurait considérée comme non viable pour son franchisé. Ainsi interprété, le protocole de développement ne pouvait permettre au franchiseur d’exiger l’ouverture d’établissements franchisés dans des conditions qu’il savait ruineuses pour son cocontractant. En d’autres termes, rien ne contraignait le franchiseur à renégocier les termes du contrat de développement. En revanche, les termes mêmes de ce contrat de développement obligeaient le franchiseur à proposer des conditions acceptables aux sociétés franchisées, afin de permettre la réalisation des objectifs prévus. La loyauté revient alors selon une formule bien connue à faciliter à son cocontractant l’exécution de ses engagements.
La solution peut être rapprochée de la jurisprudence classique en matière de clause d’objectifs au terme de laquelle ces dernières doivent être réalistes. La règle est issue de la jurisprudence de la chambre sociale qui, dès la fin des années 1980 a développé son contrôle des licenciements pour non-réalisation des objectifs fixés[9]. L’idée d’un contrôle des clauses d’objectifs — en termes d’approvisionnement ou de vente — a rapidement été reprise en droit de la distribution, tant sur le fondement du droit commun[10] que sur celui du droit de la concurrence[11]. L’espèce donnait à connaître d’objectifs d’une nature particulière puisque ne consistant pas en un minimum d’achat ou de vente de produits, mais dans l’ouverture d’un nombre défini de magasins franchisés. En outre, ces objectifs n’étaient pas fixés dans le cadre d’un contrat de franchise, mais bien dans le contrat de développement. Rien ne paraissait toutefois s’opposer à un contrôle du caractère raisonnable des objectifs stipulés dans ce cadre. Plus encore, les conditions auxquelles étaient conclus les contrats de franchises subséquents ne devaient pas rendre illusoire la réalisation des objectifs stipulés dans le contrat de développement. Si le débat n’a pas été expressément posé en ces termes, ni devant la cour d’appel, ni devant la cour de cassation, il est manifeste que la motivation des juges du fond est sous-tendue par la constatation de l’impossibilité pour le groupe franchisé de parvenir au nombre d’ouvertures escomptées.
L’obligation d’adapter les conditions des contrats de franchise conclus en application du contrat de développement peut également faire écho à la notion de contrat-cadre. Rappelons que cette notion est désormais définie par l’article 1111 du code civil comme « un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures » tandis que « des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution ». Dès lors, le contrat de développement pouvait en l’espèce s’apparenter à une forme de contrat-cadre, envisageant la conclusion ultérieure de contrats d’application qui n’étaient autre que les contrats de franchise. Certes l’adaptation des conditions des contrats de franchise est bien éloignée de l’abus dans la fixation du prix envisagée par les arrêts du 1er décembre 1995 et par le nouvel article 1164 du code civil. L’idée n’est cependant pas bien éloignée : le contrat-cadre ne pouvait permettre au franchiseur d’abuser de la position de force qui lui était ainsi conférée, en exigeant de son cocontractant qu’il conclue des contrats d’application au détriment de ses propres intérêts. S’il souhaitait poursuivre l’exécution du contrat-cadre, le franchiseur devait adapter les conditions des contrats d’application afin de rendre ceux-ci soutenables par son cocontractant.
La motivation de la décision querellée peut en outre se prévaloir d’un large courant jurisprudentiel quant aux conditions de mise en œuvre d’une clause résolutoire. La cour d’appel constate en effet « qu’en dénonçant dans de telles circonstances le protocole […] la société Holder […] a agi avec mauvaise foi et sans loyauté ». Ce sont donc les circonstances de mise en œuvre de la clause résolutoire — alors que les sociétés exploitantes rencontraient des difficultés sérieuses et en refusant toute procédure de conciliation — qui commandent la décision. Ce type de contrôle a posteriori de la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas nouveau. Le Doyen Cornu notait ainsi dès la fin des années 1970 que « la force que le premier alinéa de l’article 1134 [devenu 1103] imprime à la clause résolutoire expresse trouve son frein naturel dans la disposition finale du texte [devenue l’article 1104] »[12]. La mise en œuvre de la clause résolutoire est ainsi jugée déloyale lorsque le créancier invoquant la clause résolutoire est lui-même fautif[13], lorsque la clause résolutoire est détournée de sa finalité[14], ou encore lorsqu’elle est mise en œuvre brusquement après une longue inaction du créancier[15]. La décision commentée s’inscrit pleinement dans ce schéma de moralisation de la mise en œuvre de la clause résolutoire[16]. Elle eût été parfaitement classique si la cour d’appel avait choisi d’indiquer que la loyauté imposait « si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable » de ne pas mettre en œuvre la clause résolutoire sans négociation préalable. Les juges du fond, approuvés en cela par la Cour de cassation, sont allés un peu plus loin encore en précisant que la situation « imposait de négocier », reléguant au second plan la question de la résolution.
Par-dessus tout et probablement à dessein, la motivation de la Cour de cassation sonne donc comme le prélude à l’entrée en vigueur du nouvel article 1195 du code civil. Si ce texte, qui introduit en droit français la théorie de l’imprévision, n’était naturellement pas applicable à un contrat conclu en 2004, la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce préfigure dans une large part celles auxquelles pourrait conduire le nouveau droit des contrats. L’application immédiate de la réforme du droit des obligations aux contrats en cours, vaticinée par le Professeur Mainguy[17] prend, peu à peu, forme. L’utilisation d’outils séculaires tels que la loyauté ou la bonne foi ne peut suffire à masquer le caractère proprement inédit de la solution. Sans doute la décision va-t-elle au-delà même de la réforme dont elle anticipe l’entrée en vigueur. Une application littérale du nouvel article 1195 du code civil aurait en effet conduit les juges à devoir vérifier l’existence de circonstances exceptionnelles ainsi que de l’absence de volonté du groupe franchisé d’en supporter le risque. En tout état de cause, même en pareil cas, le nouvel article 1195 ne prévoit nullement, comme en l’espèce, la possibilité d’une indemnisation en cas d’échec des négociations. Tout au plus est-il loisible au juge de procéder à l’adaptation du contrat ou d’y mettre un terme. Voici donc déjà la réforme, avant la réforme et par-delà la réforme !
[1] Cass. Com., 4 octobre 2011, n° 10-20.956.
[2] Cass. Com., 25 novembre 2014, n° 13-24.658
[3] Cass. Com. 5 janvier 2016, n°14-15.700 à 14-15.708 et 14-15.710.
[4] Cass. com., 17 mars 2015, n°14-10.595 ; Cass. com., 25 novembre 2014, n°13-24.658 ; Cass. com., 31 janvier 2012, n°11-10.834.
[5] Cass. Com. 31 janvier 2012, n° 11-10.834.
[6] Cass. Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.895.
[7] Cass. Com., 10 juillet 2012, n° 11-21.954.
[8] B. Fages, note sous Cass. Com. 10 juillet 2012, n°11-21.954, Rev. sociétés 2012, p. 686.
[9] Cass. Soc. 18 mars 1986, 83-42.191.
[10] Cass. Com. 13 mai 1997, n° 95-14.035 ; Cass. Com. 16 déc. 1997, n° 96-14.515 ou encore Cass. Com., 28 mai 2002, n° 00-16.857.
[11] Décis. Comm. CE 16 déc. 1991, Yves-Saint-Laurent Parfums,, JOCE, no L 12, 18 janv. 1992 ; V. également Cons. Conc., déc. n° 05-D-48, 28 juillet 2005, Société ATA.
[12] G. Cornu, note sous Cass. 3e civ., 29 juin et 15 décembre 1976, RTD civ. 1977, p. 340.
[13] Cass. civ. 3e, 19 avril 1989, n° 87-15.925.
[14] Cass. civ. 3e, 25 janvier 1983, n°81-12.647.
[15] Cass. civ. 3e, 8 avril 1987, n° 85-17.596 : JCP 1988, II, 21037, note Y. Picod.
[16] V. Y. Picod, « La clause résolutoire et la règle morale », JCP G 1990, n° 20, doctr. 101224.
[17] D. Mainguy, « Pour l’entrée en vigueur immédiate des règles nouvelles du droit des contrats », D. 2016 p. 1762.