Validité des clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de franchise (Com., 24 nov. 2009, nº 08-17.650)

L’arrêt rendu le 24 novembre 2009 par la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme sans ambiguïté la validité des clauses de non-concurrence post-contractuelles stipulées dans les contrats de franchise. Il demeure néanmoins totalement muet sur la question d’une éventuelle indemnisation du franchisé à laquelle un arrêt du 9 octobre 2007 paraissait avoir entrouvert la voie. Reste à savoir quelle interprétation et quelle portée donner à ce silence.

1. Depuis l’arrêt Trévisan (Cass. 3e civ., 27 mars 2002, nº 00-20.732, Bull. civ. III, nº 77, JCP G 2002, II, nº 10112, p. 1312, note Auque F., Contrats, conc., consom. 2002, comm. 111, obs. Malaurie-Vignal M., Contrats, conc., consom. 2002, comm. 155, obs. Leveneur L., JCP E 2002, Cah. dr. ent., Fasc. 5, p. 29, obs. Respaud J.-L.. Parmi les nombreux commentaires, cf., notamment Blatter J.-P. Franchise et propriété commerciale, AJDI 2002, p. 376 et s. ; Kenfack H., Le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux, D. 2002, p. 2400 ; Chevrier É., Le franchisé a la propriété commerciale du fonds exploité, D. 2002, p. 1487 ; Ferrier D., Le franchisé bénéficie de la propriété commerciale dès lors que le franchiseur reconnaît le droit d’en disposer, D. 2002, p. 3006 ; Saintourens B., La reconnaissance par la Cour de cassation de l’existence d’une clientèle propre du franchisé, éléments de son fonds de commerce, RTD com., 2002, p. 457 ; Monéger J., La clientèle du franchisé, RTD com. 2003, p. 273), les clauses de non-concurrence post-contractuelles insérées dans la plupart des contrats de franchise sont sujettes à caution. Puisque le franchisé développe, pendant l’exécution du contrat, une clientèle qui lui est personnelle, par l’exploitation à ses risques et périls des éléments mis à sa disposition par le franchiseur (il s’agit là de l’attendu de principe de l’arrêt Trévisan), peut-on admettre que ce dernier puisse légalement l’en priver à la rupture des relations contractuelles ? On se souvient du mystérieux arrêt Sté ETE c/ SA SFR(Cass. com., 9 oct. 2007, nº 05-14.118, RJDA 2008, nº 4, p. 381, note Kenfack H., D. 2008, p. 388, note Ferrier D., RDC 2008, p. 410, note Béhar-Touchais M., RLDA 2007/22, nº 1354, note Ferré D. et Deberdt E., JCP G 2007, II, nº 10211, note Dissaux N., JCP E 2008, nº 20, p. 24, note Mainguy D., JCP E 2008, nº 1, p. 31, note Dissaux N., Contrats, conc., consom. 2007, comm. 298, note Malaurie-Vignal M..) qui avait, à l’automne 2007, suscité la perplexité et les interrogations de la doctrine. À première vue, cette décision semblait consacrer l’idée de l’indemnisation du préjudice subi par un franchisé débiteur d’une clause de non-concurrence qui, à la rupture du contrat, se voit ainsi dépossédé de la clientèle qu’il a développée (sous réserve d’un certain nombre de conditions fixées par l’attendu de principe. Voir infra nos 20 et s.).

2. L’arrêt ne pouvait toutefois que susciter la perplexité. N’étant pas destiné à une publication au Bulletin, il était difficile d’y voir l’affirmation d’une solution aussi radicalement nouvelle et révolutionnaire. Un nouveau « tsunami » (cette expression avait été utilisée par Yves Serra pour qualifier les arrêts rendus par la chambre sociale le 10 juillet 2002 qui érigeaient la contrepartie financière en condition de validité de la clause de non-concurrence en droit du travail : Serra Y., Tsunami sur la clause de non-concurrence en droit du travail, note sous Cass. soc., 10 juill. 2002, D. 2002, p. 2591) sur la clause de non-concurrence aurait probablement donné lieu à une plus large publicité. En outre, le fondement de cette solution ne pouvait que laisser songeur. La Cour de cassation visait en effet l’article 1371 du Code civil, lequel a déjà démontré qu’il servait relativement mal l’imagination des Hauts Magistrats (on se souvient ainsi du problème des loteries publicitaires que la Cour de cassation a entrepris de résoudre sur le fondement de ce texte : Cass. ch. mixte, 6 sept.2002, nº 98-22.981, Bull. civ. ch. mixte, nº 4. Parmi les nombreux commentaires, cf., notamment Brun Ph., Loteries publicitaires trompeuses, in Mélanges J. Calais-Auloy, 2004, Dalloz, p. 191 ; Fages B., Les loteries publicitaires devant la chambre mixte : et le numéro complémentaire est… le 1371 !, Rev. Lamy dr. aff. 2002, nº 54, nº 3427 ; Le Tourneau Ph., Zabalza A., Le réveil des quasi-contrats [à propos des loteries publicitaires], Contrats, conc., consom. 2002, chron. 22.). La doctrine était ainsi partagée entre enthousiasme et scepticisme, mais quasi-unanime pour affirmer qu’il convenait de considérer cet arrêt avec la plus grande circonspection (cf. cependant contra, Dissaux N., note sous Cass. com., 9 oct.2007, JCP G 2007, II, nº 10211. Selon cet auteur, « qu’une telle décision n’ait pas été publiée au Bulletin ne suffit nullement à en minimiser la portée. Il s’agit bien d’un revirement de jurisprudence susceptible de bouleverser le droit de la distribution ».).

3. La présente décision de la chambre commerciale du 24 novembre 2009 qui, elle non plus, n’a pas reçu les honneurs de la publication, vient a posteriori justifier cette sage prudence des commentateurs. Le problème soulevé était toutefois différent. Un franchisé avait maintenu son activité à l’issue de la rupture du contrat, alors que ce dernier stipulait au profit du franchiseur une clause de non-concurrence post-contractuelle. La violation de l’engagement était manifeste et il ne restait au franchisé comme seul moyen de défense qu’à en contester la validité.

4. Condamné en appel, le franchisé développait cette analyse dans la première branche de son moyen. La cour d’appel, en refusant d’annuler la clause litigieuse qui le contraignait à perdre son fonds de commerce, aurait violé tant l’article 1131 du Code civil que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Plus originale, la seconde branche du moyen avançait l’idée selon laquelle le franchisé, qui avait poursuivi son activité en dehors de toute réaffiliation, n’avait fait que l’usage le plus strict de la liberté du commerce et de l’industrie, ce qui ne saurait être constitutif d’une faute.

5. La Cour de cassation répond en rappelant clairement les critères traditionnels d’appréciation des clauses de non-concurrence et déduit de leur respect en l’espèce la validité de la stipulation litigieuse. C’est donc à juste titre que la Cour d’appel de Lyon avait pu condamner l’ancien franchisé à réparer le préjudice causé par la violation de l’engagement de non-concurrence.

6. La solution semble donc des plus orthodoxes et pourrait ainsi paraître trancher ce qui n’aurait alors été qu’un faux débat : les critères d’appréciation d’une clause de non-concurrence ne diffèrent pas en matière de franchise de ceux établis pour l’ensemble des autres contrats civils et commerciaux (sur les conditions classiques de validité de la clause de non-concurrence, cf. Picod Y. (dir.), Obligation de non-concurrence, in Rép. com., Dalloz 2009, spéc. nos 94 et s.). À y regarder de plus près, la solution pourrait toutefois être plus originale qu’il n’y paraît, tant du point de vue de la validité (I) que de l’exécution de l’engagement de non-concurrence (II).

I. – La validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise : un régime sur-mesure ?

7. La décision énonce clairement que « la validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise n’est subordonnée qu’à la condition que cette clause soit limitée dans le temps et dans l’espace et qu’elle soit proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur au regard de l’objet du contrat ». La Cour de cassation rappelle ainsi clairement les critères classiques d’appréciation de la validité des clauses de non-concurrence que sont l’existence d’un intérêt légitime du créancier et la protection minimale des libertés du débiteur. Cette affirmation n’est cependant pas dénuée d’intérêt tant elle apporte une innovation quant à l’appréciation des limitations de la clause (A) et confirme la relative prudence de la Cour dans l’usage du critère de proportionnalité (B).

A. – L’innovation : le caractère cumulatif des limitations spatiale et temporelle

8. Afin de protéger la liberté du débiteur, la jurisprudence exige logiquement que l’engagement de non-concurrence soit limité quant à l’activité qu’il vise, mais également quant à son périmètre spatio-temporel. Hormis en matière sociale, il semblait cependant acquis que les limitations dans le temps et dans l’espace n’étaient qu’alternatives (cf. Picod Y. (dir.), Obligation de non-concurrence, op. cit., nº 108. Cf., cependant, contra, Béhar-Touchais M., note sous Cass. com., 9 oct.2007, RDC 2008, nº 2, p. 410 : pour cet auteur, « la jurisprudence interne (…) affirme que l’engagement de non-concurrence doit être justifié, limité dans le temps et dans l’espace et proportionné ». Les décisions citées à l’appui de cette thèse ne permettent cependant pas de la corroborer. Il semble donc que le caractère cumulatif des limitations était jusqu’alors réservé à la matière sociale : Cass. soc., 10 juill.2002, nº 99-43.334, Bull. civ., nº 235 ; Cass. soc., 10 juill.2002, nº 00-45.387, Bull. civ. V, nº 235 ; et Cass. soc., 10 juill.2002, nº 00-45.135, Bull. civ. V, nº 239, D. 2002, p. 2491, note Serra Y.). La Cour de cassation acceptait ainsi de valider des clauses limitées exclusivement dans le temps (cf., par exemple, Cass. com., 30 oct. 1989, nº 88-16.804, Bull. civ. IV, nº 260, D. 1990, somm. 332, obs. Serra Y.) ou exclusivement dans l’espace (cf. en ce sens Cass. com., 18 déc. 1979, nº 78-11.393, Bull. civ. IV, nº 340 ; Cass. com., 19 mai 1987, nº 85-16.840, Bull. civ. IV, nº 121, D. 1988, somm., p. 177, obs. Serra Y. ; ou encore Cass. 1re civ., 25 mai 1987, nº 85-15.821, Bull. civ. I, nº 161).

9. Le présent arrêt semble cependant opter pour une solution diamétralement opposée : pour être valable, une clause de non-concurrence post-contracuelle insérée dans un contrat de franchise devrait être limitée à la fois dans le temps et dans l’espace (on remarquera cependant une décision du 1er juillet 2003 qui, sans affirmer le caractère cumulatif des deux limitations, constatait toutefois qu’une clause insérée dans un contrat de franchise était limitée dans le temps et dans l’espace pour en justifier la validité. Mais comme l’enseigne l’adage : qui peut le plus, peut le moins : Cass. com., 1er juill.2003, nº 02-11.384, JCP E 2004, p. 768, note Moracchini-Zeidenberg S.). D’alternatifs les critères deviennent ainsi cumulatifs, la jurisprudence de la chambre commerciale s’alignant sur celle de la chambre sociale, comme elle l’avait déjà fait pour le critère de proportionnalité (Cass. com., 4 janv. 1994, nº 92-14.121, Bull. civ. IV, nº 4, D. 1995, p. 205, note Serra Y.). Il est vrai qu’en pratique, la plupart des contrats de franchise optent aujourd’hui pour une limitation à la fois dans le temps et dans l’espace. En effet, le droit communautaire des ententes réserve le bénéfice de l’exemption aux clauses de non-concurrence d’une durée d’un an, qui sont cantonnées aux locaux et aux terrains à partir desquels le franchisé a opéré (Règl. Comm. CE nº 2790/99, 22 déc.1999 concernant l’application de l’article 81 § 3 du Traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 5 b. La Cour de cassation a d’ailleurs récemment fait application de ce texte, sans avoir préalablement vérifié que le marché communautaire était affecté, dans un arrêt qui concernait le même franchiseur (Cass. com., 9 juin 2009, nº 08-14.301, JurisData nº 2009-048751).

10. On peut toutefois s’interroger quant à la portée de ce qui peut apparaître comme un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation semble en effet soucieuse de limiter cette solution au seul contrat de franchise (l’arrêt qui, rappelons le, n’est pas destiné à être publié au Bulletin, précise en effet que seule « la validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise » est subordonnée à ces conditions). Il semble cependant difficile, dans ce domaine, de justifier un traitement spécifique à ce contrat. On voit mal comment les limitations dans le temps et dans l’espace seraient cumulatives en matière de franchise et alternative, par exemple en matière de concession. La solution doit-elle donc être étendue à tous les contrats voisins, voire à l’ensemble des contrats civils et commerciaux ? Si tel était le chemin suivi par les Hauts Magistrats, on aboutirait alors, paradoxalement, à une unification des critères d’appréciation de la limitation des clauses de non-concurrence, ces limitations étant désormais cumulatives pour l’ensemble des matières.

B. – La prudence : l’application timide du critère de proportionnalité

11. Le pourvoi, fondé sur l’article 1131 du Code civil invitait en outre la Cour de cassation à se prononcer sur une éventuelle disproportion entre l’atteinte à la liberté de l’ancien franchisé et l’intérêt protégé par le franchiseur (on sait que la cause sert désormais de fondement au contrôle de la proportionnalité des clauses de non-concurrence : en ce sens, cf. Auguet Y., Au nom de la cause, vive la généralisation du critère de proportionnalité, Dr. & patr. 2001, p. 33 et s.). Cet intérêt protégé est clairement identifié, dans le cadre d’un contrat de franchise, comme étant le savoir-faire. A cet égard, la Cour de cassation prend soin de rappeler que « le franchiseur avait apporté au franchisé un savoir-faire dont celui-ci avait reconnu la réalité et la valeur ». L’intérêt légitime du franchiseur à l’insertion d’une clause de non-concurrence n’était donc pas discutable.

12. Il n’en demeure pas moins que de l’insertion d’une telle clause était en l’espèce particulièrement lourde de conséquences sur la situation du franchisé. Si la clause ne privait pas le franchisé de toute possibilité d’exercice de son activité professionnelle, dans la mesure où il lui était, en théorie du moins, loisible de se réimplanter au-delà de la zone proscrite, voire de laisser s’écouler la durée d’un an avant de se rétablir (le débat ne se situait donc pas, en dépit de l’ambiguïté des termes du pourvoi, sur la possibilité pour le franchisé d’exercer librement sa profession. On sait qu’il s’agit d’un critère utilisé par la jurisprudence pour apprécier la validité des clauses de non-concurrence : cf. Y. (dir.) Obligation de non-concurrence, op. cit., nos 109 et s. Les limitations portant sur une durée d’un an et un rayon de trois kilomètres lui laissaient largement le loisir d’ouvrir un autre commerce, afin d’y développer son activité), elle le contraignait toutefois à abandonner la clientèle qu’il avait pu développer au cours de l’exécution du contrat de franchise (une clause de non-concurrence entraînant une atteinte importante au patrimoine de son débiteur n’en est pas pour autant illicite. L’affirmation du requérant selon laquelle « une clause de non-concurrence (…) est nulle si (…) elle fait perdre son fonds de commerce (à celui qui y est soumis) » demeure donc inexacte. Seules sont prohibées les clauses de non-concurrence qui privent leur débiteur de toute possibilité d’exercer son activité professionnelle, ce qui n’était pas le cas ici). De fait, l’ancien franchisé se voyait ainsi dépossédé de son fonds de commerce.

13. Dès lors, y avait-il adéquation et proportionnalité entre le but légitime poursuivi par le franchiseur et l’atteinte portée aux intérêts du franchisé ? Pour la Cour de cassation, la réponse est affirmative. Bien que dépossédant le franchisé de son propre fonds de commerce, la clause de non-concurrence demeure proportionnée au souci de protection du savoir-faire du franchiseur. La décision n’est cependant pas absolue, et il convient d’examiner avec attention la nature et l’importance du savoir-faire protégé.

14. Néanmoins, la solution eût pu être radicalement différente. Il n’aurait fallu que peu d’audace à la Cour de cassation pour dégager le principe selon lequel une clause de non-concurrence qui prive un commerçant de son fonds de commerce est, par nature, disproportionnée, quelle que soit la légitimité de l’intérêt protégé par le créancier. Une telle solution aurait eu l’avantage de la clarté, sans pour autant aboutir à l’illicéité de principe des engagements de non-concurrence post-contractuels dans les contrats de distribution (si telle devait être la solution, le franchiseur demeurerait toutefois libre d’imposer une limitation de concurrence à son ancien franchisé, par le biais notamment d’une clause de non-réaffiliation. C’est d’ailleurs le raisonnement auquel semblait inviter la seconde branche du pourvoi). Reste toutefois qu’en utilisant l’expression « a pu », les Hauts Magistrats semblent opter pour un contrôle léger de l’application du critère de proportionnalité, laissant ainsi une marge d’appréciation non négligeable aux juridictions du fond.

15. En réalité, il semble que la Cour de cassation opère un raisonnement à deux temps, dissociant la question de l’atteinte à la liberté du débiteur de celle de l’atteinte à son patrimoine. N’entre ainsi en jeu, pour apprécier la validité de la clause, que l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et donc à la liberté d’entreprendre de l’ancien franchisé. La question de l’atteinte au patrimoine de l’ancien franchisé, et donc de l’éventuelle perte de son fonds de commerce, semble devoir être prise en compte par le biais des modalités d’exécution de la clause de non-concurrence.

II. – La contrepartie de la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise : un régime à élaborer

16. L’arrêt demeure muet quant à la question controversée de la nécessité d’octroyer une indemnité financière au franchisé débiteur d’une clause de non-concurrence post-contractuelle. Il n’est cependant pas impossible que l’on puisse tirer quelques enseignements de ce silence. Le premier est indubitablement qu’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de franchise demeure assurément valable en l’absence de contrepartie financière (A). Le second est que la portée de l’arrêt du 9 octobre 2007 n’a jamais été aussi incertaine dans la mesure où, si les faits de l’espèce étaient l’occasion de voir confirmée cette solution, il n’en a finalement rien été (B).

A. – Le rejet de la contrepartie financière comme condition de validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle

17. L’arrêt confirme en effet ce que l’arrêt Sté ETE c/ SA SFR laissait déjà largement entrevoir. La Cour de cassation ne semble pas vouloir faire d’une éventuelle contrepartie financière une condition de validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise. On sait que telle avait été la méthode suivie par la chambre sociale de la Cour de cassation en 2002 (Cass. soc., 10 juill. 2002, préc.). Il n’est pas impossible que les critiques qu’avait alors soulevées cette solution (le revirement de jurisprudence de la chambre sociale avait en effet suscité nombre de critiques de la part des praticiens mais également de la doctrine. Sur les difficultés pratiques générées par ce revirement, cf. notamment Chautard F., Le Berre L., Contrat de travail : comment gérer les clauses de non-concurrence depuis les arrêts du 10 juillet 2002 ?, JCP E 2002, p. 2046 et s.) soient à l’origine de la position désormais plus prudente de la Cour de cassation. Une telle position a en effet pour conséquence immédiate et particulièrement préjudiciable de rendre nulles, rétroactivement, l’ensemble des clauses de non-concurrence insérées antérieurement à la décision.

18. En l’espèce, le requérant, qui entendait faire annuler la clause de non-concurrence, ne s’est d’ailleurs pas risqué à soutenir la nullité de la clause de non-concurrence en l’absence de contrepartie financière. Cela aurait été aller à l’opposé de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Par son silence, l’arrêt confirme donc ce qui est désormais unanimement admis : l’exigence d’une contrepartie financière en tant que condition de validité d’une clause de non-concurrence reste et devrait rester cantonnée à la matière sociale.

19. Cela ne veut cependant pas dire que le franchisé ne peut prétendre à une contrepartie financière. À cet égard, le requérant n’eut-il cependant pas pu tenter de demander, à titre subsidiaire, un dédommagement pour le préjudice que lui cause l’insertion d’une clause de non-concurrence qui, quoique valable car sauvegardant au minimum sa liberté professionnelle, ne le dépossède pas moins de son fonds de commerce ? La Cour de cassation aurait ainsi dû trancher la question de la portée de l’arrêt du 9 octobre 2007 (à supposer, évidemment, que cette décision ne soit pas uniquement un arrêt d’espèce, mais que l’on puisse tout de même y voir l’esquisse timide d’un revirement de jurisprudence). Malheureusement, l’occasion a été manquée.

B. – La question en suspens de l’indemnité de clientèle quasi-contractuelle comme modalité d’exécution de la clause de non-concurrence post-contractuelle

20. L’arrêt Sté ETE c/ SA SFR fonde le droit à une indemnité de clientèle du franchisé débiteur d’une clause de non-concurrence post-contractuelle sur l’article 1371 du Code civil. La doctrine y a majoritairement décelé le recours à l’action de in rem verso, tout en relevant le paradoxe inhérent à cette interprétation (cf. en ce sens, Dissaux N., note sous Cass. com., 9 oct. 2007, préc. ; Mainguy D., note sous Cass. com., 9 oct. 2007, JCP E2008, nº 20, p. 24 ; ou encore Béhar-Touchais M., note sous Cass. com., 9 oct. 2007, RDC 2008, p. 410.P.-Y. Gautier envisage également la gestion d’affaires tout en relevant que ce quasi-contrat suppose en principe que la gestion soit effectuée sans l’accord du maître, ce qui n’est évidemment pas le cas ici. L’obstacle serait toutefois moins difficile à surmonter que celui posé par l’enrichissement sans cause : Gautier P.-Y., Intérêt commun, analogie ou quasi-contrat ? Le franchisé reçoit enfin une indemnité compensatrice, RTD civ. 2008, p. 119) : l’enrichissement est, par hypothèse, causé puisqu’il est la conséquence directe de la clause de non-concurrence (Nicolas Dissaux propose de tenter de dépasser cette contradiction en estimant que la clause de non-concurrence n’est pas une cause suffisante à l’appauvrissement du franchisé. L’idée, bien que séduisante, revient cependant à rechercher, au-delà de la stricte cause objective, une cause subjective au transfert de valeur. Or, il semble qu’en matière d’action de in rem verso, la cause soit entendue strictement comme étant la simple justification juridique. En outre, la Cour de cassation vient une nouvelle fois de rappeler que l’enrichissement sans cause ne peut être invoqué entre personnes engagées contractuellement (Cass. 1re civ., 5 nov. 2009, nº 08-16.497, JCP G 2009, nº 47, p. 450, obs. Charbonneau C.et Pansier J.-F. et nº 51, p. 560, obs. Dupont N.).

21. S’écartant d’ailleurs quelque peu du régime traditionnel de l’enrichissement sans cause, la Cour de cassation semble poser dans cet arrêt des conditions originales à l’exercice de l’action : outre la démonstration d’un appauvrissement et d’un enrichissement corrélatif, celle-ci semble notamment être subordonnée au fait que la rupture du contrat soit imputable au franchiseur. Il a déjà été relevé qu’une telle condition s’accordait mal avec le régime traditionnel de l’enrichissement sans cause (Béhar-Touchais M., note sous Cass. com., 9 oct. 2007, préc. : « Ce fondement, particulièrement inadapté, invite à la plus extrême prudence dans l’appréciation de la portée de cet arrêt »). En effet, l’action de in rem verso n’est classiquement refusée qu’à celui dont la faute intentionnelle est la cause de l’appauvrissement. Or, la rupture du contrat de franchise à l’initiative du franchisé ne saurait être systématiquement être assimilée à une faute.

22. En l’espèce, le débat portait précisément sur l’imputabilité de la rupture : constatant divers manquements de son franchiseur, le franchisé avait prétendu faire valoir la clause résolutoire insérée au contrat, ce à quoi le franchiseur avait répondu en demandant reconventionnellement la prononciation de la résolution du contrat aux torts exclusifs du franchisé. En application de la jurisprudence du 9 octobre 2007, la possibilité pour le franchisé de bénéficier d’une indemnité de clientèle dépendait donc du succès de son argumentation visant à faire constater les manquements contractuels de son franchiseur, d’après lui à l’origine de la rupture. On peut toutefois s’étonner que le requérant ne soit pas allé au bout du raisonnement en demandant, à tout le moins subsidiairement, à bénéficier de la jurisprudence Sté ETE c/ SA SFR (on peut imaginer que le franchisé aurait pu sans trop de difficultés démontrer son appauvrissement, c’est-à-dire la perte de sa clientèle, ainsi que le bénéfice qui en résultait pour le franchiseur.]. Il semble dès lors manifeste que la doctrine n’est pas la seule à douter de la portée de l’arrêt du 9 octobre 2007. Bien que cette affaire eût pu être l’occasion d’en préciser les contours, la question reste plus que jamais en suspens.

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