Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux en date du 15 mai 2019 apporte une intéressante précision quant à la question de la déclaration de créance effectuée par un créancier relevé de forclusion. Chacun sait que la demande en relevé de forclusion ne dispense pas le créancier d’effectuer la déclaration qu’il aurait dû faire initialement, le relevé de forclusion ne valant pas déclaration de la créance. Se pose alors la question du moment de cette déclaration.
Dans le silence de la loi, la Cour de cassation avait, pour les procédures ouvertes avant le 1er juillet 2014, posé un certain nombre de jalons, en créant de toutes pièces le délai omis par le législateur : le créancier défaillant était tenu de la déclarer sa créance dans le délai préfix prévu pour l’introduction de la demande en relevé de forclusion – soit un an à compter de la décision d’ouverture de la procédure sous l’empire du droit antérieur à la loi de sauvegarde (ancien art. L. 621-46) et six mois depuis l’entrée en vigueur de cette loi (art. L. 622-26) ; ce quand bien même le juge-commissaire n’aurait pas statué sur le relevé de forclusion à l’intérieur de ce délai (Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-21.357 : JCP E 2007, 2119, n° 8, obs. M. Cabrillac ; RD bancaire et fin. 2007, comm. 113, obs. F.-X. Lucas ; Bull. civ. 2007, IV, n° 125 ; D.2007, p. 1424, obs. A. Lienhard ; D. 2008, p. 577, obs. P.-M. Le Corre. – Cass. com., 3 nov. 2009, n° 07-13.485 : Gaz. Pal. 17 avr. 2010, p. 34, note E. Le Corre-Broly. – Cass. com., 23 avr. 2013, n° 11-25.963 : Act. proc. coll. 2013-10, comm. 133, comm. P. Cagnoli). Ainsi, le créancier voyant approcher la date butoir de l’article L. 622-26, était contraint, sans attendre l’issue de la procédure en relevé de forclusion, de procéder à une déclaration de créance – en l’état irrecevable mais qu’un éventuel relevé de forclusion validerait rétroactivement. La Cour de cassation avait en outre précisé que le créancier ayant ainsi déclaré sa créance antérieurement à la décision le relevant de forclusion n’avait pas à renouveler sa déclaration postérieurement (Cass. com., 24 sept. 2003, n° 01-00.504 : Act. proc. coll. 2003/19, n° 243 ; Lexbase Hebdo n° N9278AAU, note P.-M. Le Corre ; Cass. com., 10 juill. 2012, n° 11-20367 : Bull. civ. IV, n° 814 ; BJE oct. 2012, p. 286, comm. 155, note L. Le Mesle – Cass. com., 23 avr. 2013, n° 11-25.963 : précit.)
L’ordonnance du 12 mars 2014 est venue substituer à ces règles de pure création prétorienne un mécanisme légal. L’article L. 622-24 du code de commerce dispose désormais que « lorsque le créancier a été relevé de forclusion conformément à l’article L. 622-26, les délais [de déclaration de créance] ne courent qu’à compter de la notification de cette décision ; ils sont alors réduits de moitié ». Le texte permet donc d’éviter au créancier d’avoir à procéder à une déclaration de créance sans attendre l’issue de l’instance en relevé de forclusion. Cette nouvelle disposition laissait cependant planer une incertitude que la doctrine n’avait pas manqué de relever (v. notamment J. Vallansan, « Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. – Déclaration et admission des créances » in JCl Commercial, fasc. 2352, n° 166) : s’il n’est plus nécessaire de déclarer sa créance avant l’issue de la procédure en relevé de forclusion, une telle déclaration anticipée est-elle encore recevable ? Le Professeur Le Corre suggérait une réponse négative, estimant que « la permission donnée au créancier de déclarer sa créance avant même d’être relevé de forclusion, et la dispense d’avoir à procéder à nouveau à ladite déclaration, une fois le relevé de forclusion obtenu » ne se justifiaient peut-être plus dès lors que le créancier dispose d’un délai particulier pour déclarer sa créance, après avoir obtenu son relevé de forclusion. (P. Le Corre, « Le relevé de forclusion après l’ordonnance du 12 mars 2014 et le décret du 30 juin 2014 », Gaz. Pal. 18-20 janv. 2015, p. 39)
C’est à ces interrogations que l’arrêt rapporté vient apporter une réponse inédite. En l’espèce, le créancier avait présenté une requête en relevé de forclusion le 23 octobre 2017, adressant le même jour sa déclaration de créance au mandataire. Le relevé de forclusion lui avait été accordé selon ordonnance du juge commissaire en date du 8 février 2018, sans que la déclaration de créance ne soit réitérée ultérieurement. Le mandataire en avait conclu qu’aucune déclaration de créance n’ayant été réalisée dans le délai prévu par l’article L. 622-24 du code de commerce, la créance était inopposable à la procédure. L’argument avait fait mouche auprès du Juge commissaire. Saisie de cette question, la Cour d’appel de Bordeaux adopte une solution opposée : « Si les dispositions de l’article L 622-24 du code de commerce précisent que le délai de déclaration, réduit de moitié, ne court qu’à compter de la notification de la décision de relevé de forclusion, elles n’imposent pas au créancier de renouveler une déclaration de créance faite antérieurement au relevé de forclusion. Il importe uniquement l’existence d’une déclaration et qu’elle ait été faite dans le délai de l’article L 622-24. »
Le raisonnement des magistrats bordelais doit être approuvé, pour trois raisons au moins. L’une, de bon sens : lorsqu’un texte fixe un délai pour accomplir un acte, il importe uniquement que cet acte ait été réalisé avant l’expiration dudit délai : on ne reproche pas à l’appelant d’avoir interjeté appel avant la signification du jugement, point de départ du délai à l’expiration duquel il sera forclos !
L’autre, pratique : on comprend parfaitement la nécessité d’un délai maximal de déclaration pour le créancier relevé de forclusion : il faut bien, tôt ou tard, que puisse être figé l’état des créances. En revanche, une déclaration anticipée, comme en l’espèce, ne nuit aucunement à la procédure collective ; il serait même particulièrement ingrat de sanctionner le créancier prévenant.
La troisième, enfin, sémantique : « relever de forclusion » ne signifie rien d’autre que « faire échapper un plaideur à la sanction qu’il a encourue, soit en validant l’acte qu’il avait accompli hors délai, soit en lui permettant d’effectuer cet acte après l’expiration du délai » (N. Fricero, « Délais de procédure » in JCl Procédure civile, fasc. 600-70, n° 97).Pour paraphraser Édith Piaf : « après l’heure, c’est plus l’heure ; mais avant l’heure c’est encore l’heure… »