Figurant parmi les dispositions remarquées de ce texte, l’article 31 de la désormais célèbre loi « Macron » pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques insère, au sein du livre III du code de commerce, un titre IV intitulé « Des réseaux de distribution commerciale ». Ainsi qu’a pu le préciser le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2015 validant cette disposition, ce texte encadre « les relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les exploitants de commerces de détail affiliés à de tels réseaux » . L’ambition première du législateur est de « renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution en facilitant les changements d’enseignes par les magasins indépendants afin d’augmenter le pouvoir d’achat des Français, de diversifier l’offre pour le consommateur dans les zones de chalandise tout en permettant au commerçant de faire jouer la concurrence entre enseignes » . On comprend donc immédiatement l’importance de ce texte, dont la conséquence – à défaut d’être la finalité – n’est donc rien de moins que de créer l’ébauche d’un droit spécial des contrats de distribution.
Certes, la volonté de légiférer en ce domaine n’est pas nouvelle. En 2010 déjà, l’Autorité de la concurrence s’était saisie d’office, adoptant le 7 décembre 2010 un avis relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants dans le secteur de la distribution alimentaire . L’Autorité y recensait diverses clauses et pratiques, fréquentes dans les contrats de distribution alimentaire, susceptibles d’atténuer l’intensité de la concurrence entre magasins et de dégrader la situation du consommateur. En guise de conclusion, l’Autorité de la concurrence relevait qu’ « une intervention du législateur serait sans aucun doute nécessaire pour supprimer ces freins à la concurrence » .
L’appel fut entendu dans le cadre du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs du 1er juin 2011, plus connu sous le nom de projet de loi Lefebvre . L’article 1er du projet prévoyait déjà la création au sein du livre III du code de commerce d’un titre IV consacré aux réseaux de distribution, comportant sept articles, directement inspirés des recommandations de l’Autorité de la concurrence. Toutefois, faute d’avoir été adopté avant le changement de législature, le projet de loi Lefebvre avait pu sembler définitivement enterré. La loi du 6 août 2015 marque cependant sa résurrection, l’article 31 de la loi Macron apparaissant, ainsi que l’a souligné la commission spéciale devant le Sénat, comme une « forme condensée » de l’article 1er du défunt projet de loi Lefebvre.
Pourtant, rien de tel ne figurait initialement dans le projet de loi pour la croissance et l’activité, déposé par le ministre de l’Économie le 11 décembre 2014. L’article 31 est, en effet, issu d’un amendement (n° 1681), déposé par le député François Brottes et initialement inséré au sein de l’article 10 A du projet . À l’instar de la loi dans son ensemble, ce texte a subi un parcours législatif particulièrement chaotique, révélateur des tensions et controverses qu’il suscite. Après l’adoption de la loi par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, l’article 10 A était supprimé par le Sénat, suite à la proposition formulée en ce sens par la commission spéciale. Bien que rétabli en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale, le texte l’a été dans une version plus consensuelle, « mieux ciblé[e] et expurgé[e] de ses dispositions les plus contestables » , comme l’écrira la commission spéciale avant le second passage de la loi devant le Sénat. C’est finalement ce texte qui sera considéré comme définitivement adopté, les modifications apportées en seconde lecture par le Sénat ayant été rejetées lors de la lecture définitive par l’Assemblée nationale.
Ainsi, le 6 août 2016 , deux nouveaux articles feront leur apparition dans le code de commerce. Le futur article L. 341-1, dont l’intelligibilité à première lecture est toute relative, précise le champ d’application de ces dispositions tout en imposant un terme identique ainsi qu’une résiliation commune à l’ensemble des contrats d’affiliation conclus entre les mêmes parties, enchevêtrant ainsi notion et régime. L’article L. 341-2 s’intéresse pour sa part aux clauses restrictives de concurrence post-contractuelles, dont il ne fait, pour l’essentiel, que rappeler les exigences de validité classiques. La teneur et le caractère relativement timoré du texte définitif tranchent radicalement avec les débats passionnés qu’a suscités son adoption. Cependant, pour avoir perdu en substance au fil du processus législatif, les futurs articles L. 341-1 et L. 341-2 n’en ont pas pour autant gagné en intelligibilité. En somme, le commentateur éprouve sans doute plus de difficultés à rendre compte clairement de leur champ d’application qu’à dépeindre le régime qu’ils instaurent. À supposer qu’un nouveau contrat d’affiliation voie le jour à l’été 2016, la moindre des difficultés ne sera probablement pas sa qualification (I), qui retiendra manifestement davantage l’attention que son futur régime (II).
I- Le nouveau contrat d’affiliation : une définition alambiquée
Le contrat d’affiliation est traditionnellement conçu comme la convention conclue entre un groupement ou une centrale d’achats et les distributeurs du groupe, « par laquelle se trouve recherchée, pour une durée correspondant à l’importance des aides consenties au distributeur par le regroupement, une discipline commerciale des distributeurs désignés alors comme les ‘‘affiliés’’, qui permet d’obtenir des conditions encore plus avantageuses auprès des fournisseurs » . Ayant ainsi pour finalité l’adhésion à un regroupement à l’achat, le contrat d’affiliation se distinguerait dès lors des conventions ayant pour objet l’adhésion à un réseau , bien qu’elle en demeure le complément naturel. La définition retenue par la loi du 6 août 2015 se veut bien plus large et embrasse, à quelques exclusions près, l’ensemble des techniques permettant l’intégration de commerçants indépendants au sein d’un réseau de distribution. Catégorie vaste aux contours encore mal définis, le nouveau contrat d’affiliation englobe ainsi des figures contractuelles bien connues, telles que la franchise, la concession, la gérance-mandat, la licence de marque ou encore la commission-affiliation. Nouveau contrat nommé, sa qualification est fonction non seulement du contenu de la convention (B), mais encore de la qualité des parties (A).
A- Les parties au nouveau contrat d’affiliation
1. L’affiliant
Le champ d’application ratione personae s’avère de prime abord très large. Le titulaire du réseau, que l’on nommera peut-être désormais l’ « affiliant », est défini comme la personne physique ou morale de droit privé « regroupant des commerçants » ou « mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 [du code de commerce] ». Les deux branches de l’alternative visent deux situations juridiquement et économiquement différentes. Le premier terme englobe ainsi les diverses centrales d’achats ou de référencement. Le second cible, quant à lui, les personnes mettant à disposition un nom commercial, une marque ou une enseigne commune, c’est-à-dire toute personne à la tête d’un réseau de distribution. Autant dire qu’au sein d’un même réseau, l’ « affiliant » sera bien souvent constitué de plusieurs personnes morales juridiquement distinctes (centrale d’achat et franchiseur par exemple), mais regroupées sous une dénomination et un régime unique par la loi.
Deux exclusions sont toutefois prévues par le texte, qui réserve le cas des personnes mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du code de commerce, savoir les magasins collectifs de commerçants indépendants et les sociétés de caution mutuelle. Si cette exclusion semble de bon sens et n’appelle pas grand commentaires, il faut en déduire, a contrario, que le contrat d’affiliation peut parfaitement être conclu par une société coopérative de commerçants détaillants, le chapitre IV n’étant en rien exclu par le texte, ce qui évite une inopportune distinction entre le commerce intégré et le commerce associé.
2. L’affilié
L’affilié est, pour sa part, une « personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, un magasin de commerce de détail ». Cette formule appelle trois remarques. En premier lieu, le texte ne distingue donc pas selon que le distributeur agit pour son compte ou pour le compte d’un tiers, ce qui autorise là encore à placer sous le même étendard des formules juridiques que la jurisprudence s’est pourtant attachée à clairement distinguer.
On remarquera ensuite, à l’inverse, que le texte vise la seule « personne exploitant ». Dans le cas où celle-ci est une personne morale, on peut légitimement s’interroger sur le sort des contrats (cautionnements, pactes d’associés, engagements de non-concurrence) passés entre son dirigeant ou associé majoritaire et la tête de réseau. Une lecture stricte du texte conduirait, en l’état, à leur refuser la qualification de contrat d’affiliation, alors qu’ils participent indéniablement au processus d’affiliation et ont un impact tout aussi contraignant que ceux signés par la personne morale exploitante.
Enfin et plus fondamentalement, sont exclus de la qualification d’affilié au sens de l’article L. 341-1 du code de commerce ceux dont l’activité ne relève pas du « commerce de détail ». Dans le cadre des débats, il avait été imaginé de définir cette notion, au sein de l’article L. 441-7 du code de commerce, comme le « distributeur effectuant pour plus de la moitié de son chiffre d’affaires de la vente de marchandises à des consommateurs pour un usage domestique » . Bien qu’elle n’ait finalement pas été adoptée par le législateur, cette définition peut être retenue, dans la mesure où elle est également celle de l’Autorité de la concurrence dans le cadre de ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations . Échapperont donc sans doute à l’application des futurs articles L. 341-1 et suivants, par exemple, les réseaux restauration, d’agences de voyages ou d’agences immobilières et plus largement l’ensemble des franchises de services à caractère immatériel ou intellectuel ou de location de matériel (laveries ou vidéothèques) . En toute logique, les activités artisanales (pressing, coiffure, esthétique, cordonnerie, entretien de véhicules) devraient a fortiori être exclues, car ne pouvant par essence relever du « commerce », fut-il de détail. Toutefois, pour l’Autorité de la concurrence, ces activités sont « traditionnellement assimilé[e]s à du commerce de détail, bien que ne constituant pas de la vente de marchandises » . Rien ne dit que cette conception extensive sera partagée par la jurisprudence. L’enjeu est de taille puisqu’il conditionne l’application ou la non-application du texte à des milliers d’exploitants.
Quoi qu’il en soit, le renvoi à la notion de « commerce de détail » accroît considérablement la portée du texte au regard de ce qui était prévu par le projet de loi Lefebvre. En effet, celui-ci, dans le droit fil de l’avis de l’Autorité de la concurrence du 7 décembre 2010, se limitait au commerce de distribution à dominante alimentaire. L’élargissement opéré par la loi Macron, de la « distribution alimentaire » au « commerce de détail », assez largement critiqué en l’absence d’étude d’impact, a pu être qualifié par la commission spéciale du Sénat de « saut dans l’inconnu » . Il a toutefois été maintenu à l’issue du processus législatif, soumettant ainsi incontestablement au dispositif notamment les magasins de bricolage, d’électroménager, de biens culturels ou encore les distributeurs de carburants et autres opticiens.
B- Le contenu du nouveau contrat d’affiliation
Au-delà de ses parties, le contrat d’affiliation est également défini par référence à son contenu ; plus précisément quant à sa finalité d’une part, et quant à ses effets d’autre part. Ainsi que l’indiquait l’exposé des motifs de l’amendement n° 1681, la volonté du législateur est d’appréhender « l’ensemble des contrats liant un commerçant à un réseau » . La finalité économique de la convention prime et transcende donc les catégories juridiques, ce dont rend bien compte le vocable relativement flou d’ « affiliation ». Le contrat d’affiliation se définit par la logique d’intégration économique verticale du distributeur au sein d’un réseau, qui peut prendre des formes juridiques très diverses, le ciment de l’ensemble contractuel ainsi créé par détermination de la loi étant constitué par sa seule finalité. Le critère retenu par la loi tient à l’objectif de ces contrats, qui doivent avoir « pour but commun l’exploitation [du] magasin » de l’affilié. La référence implicite à la cause du contrat en fera sourire plus d’un, à l’heure où l’enterrement législatif de la notion paraît acté . Outre les classiques contrats de distribution, sont ainsi concernés tous les contrats annexes par lesquels s’organise le réseau : contrats d’approvisionnement, de location-gérance, de prêt, de dépôt, pactes d’associés… Le régime juridique de ces contrats différera donc selon qu’ils seront conclus dans le cadre d’une relation « classique » ou qu’ils s’inséreront dans un processus vertical d’affiliation. À l’inverse, échapperont donc naturellement à cette qualification l’ensemble des contrats passés, en amont, par la tête de réseau, notamment avec ses fournisseurs.
S’agissant des effets du contrat, l’article L. 341-1 précise que, pour relever du régime contraignant des contrats d’affiliation, ces conventions doivent comporter « des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale ». De façon assez singulière, désormais, le contrat d’affiliation se définit donc également par son caractère attentatoire aux libertés économiques de l’affilié. Rares sont, en effet, les réseaux de distribution n’imposant pas à leurs affiliés une obligation d’exclusivité, de quasi-exclusivité, de non-concurrence (contractuelle ou post-contractuelle), ou de non-réaffiliation pour ne citer que les plus courantes. La condition posée par le texte paraît si large qu’elle confine peut-être à la tautologie. Il est permis de se demander si la finalité même du contrat d’affiliation – imposer l’usage d’une enseigne ou rechercher une politique d’achat commune – n’est pas déjà, en soi, porteur d’une limitation de la liberté d’exercice de l’activité commerciale du distributeur. Par ailleurs, l’appréciation du caractère attentatoire à la liberté du distributeur n’a de sens que si elle est effectuée au niveau de l’ensemble contractuel. En d’autres termes, un contrat ne saurait être soustrait au régime des contrats d’affiliation au motif qu’il ne comporte, pris individuellement, aucune limitation de la liberté d’exercice du distributeur, dès lors qu’il s’insère dans un ensemble plus vaste incluant de telles limitations.
Quelques contrats, expressément visés par le texte, échappent néanmoins à la qualification de contrat d’affiliation, bien qu’ils paraissent a priori en remplir toutes les conditions. C’est tout d’abord le cas du contrat de bail commercial, qui dispose d’un solide régime légal. Cette exclusion, qui n’a jamais été remise en question au cours du processus législatif, semble de bon sens. Outre le contrat de bail commercial, les contrats d’association et les contrats de société civile, commerciale ou coopérative échappent également au dispositif prévu par l’article L. 341-1. Cette exclusion traduit une véritable volte-face entre l’amendement initial et le texte finalement adopté. En effet, l’amendement déposé par M. Brottes prévoyait tout au contraire l’insertion d’un article L. 341-4 précisant que « les règles statutaires et décisions collectives adoptées conformément aux lois relatives aux associations, aux sociétés civiles, commerciales ou coopératives » ne peuvent contrevenir aux règles régissant les contrats d’affiliation. Cette immunité accordée aux contrats d’association et de société pourrait offrir un moyen fort commode aux têtes de réseaux de contourner les exigences légales. Une telle hypothèse risquerait de favoriser le recours à des prises de participation minoritaires des « affiliants » au sein du capital des sociétés affiliées, pratique plus connue sous le nom de « franchise participative » . Or, cette pratique avait été dénoncée avec force par l’Autorité de la concurrence dans son avis du 7 décembre 2010 , tant elle constitue probablement un mal pire que ceux contre lesquels le dispositif législatif entend précisément lutter. Une analyse plus approfondie permet toutefois de dissiper partiellement ces craintes. En effet, l’article L. 341-1 précise que seul « le présent article » n’est pas applicable aux contrats de bail commercial, de société ou d’association. Il semble falloir en conclure que ces contrats, lorsqu’ils entrent dans le cadre d’une relation d’affiliation, sont bien soumis au régime posé, notamment, par l’article L. 341-2. Par conséquent, seules les règles relatives au terme et à la résiliation des contrats d’affiliation leur sont inapplicables. Si une telle interprétation venait à prospérer, loin d’être une exclusion, la précision apportée par l’article L. 341-1, alinéa 3, pourrait se révéler d’une particulière utilité dans la lutte contre la franchise participative, laquelle est souvent contraire au régime des contrats d’affiliation tel qu’il est posé par l’article L. 341-2.
II- Le nouveau contrat d’affiliation : un régime minimaliste
L’avis de l’Autorité de la concurrence du 7 décembre 2010 ayant enclenché le mouvement législatif identifiait six principales pratiques réputées constituer des freins à la mobilité des affiliés : la multiplicité des documents contractuels et leur décalage dans le temps, des durées d’engagement trop longues, la présence de droits de priorité au profit des groupes de distribution, les clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles, la présence de droits d’entrée à paiement différé, et, enfin, les prises de participations minoritaires de la tête de réseau au capital de l’affilié conférant une minorité de blocage. Le projet de loi Lefebvre avait pour ambition de légiférer sur l’ensemble de ces pratiques. Plus modeste, l’amendement déposé par M. Brottes dans le cadre du projet de loi Macron avait d’emblée renoncé à légiférer s’agissant des droits de priorité (dont les effets anticoncurrentiels ne sont pas évidents ) et des droits d’entrée à paiement différé. La navette parlementaire a encore édulcoré le texte, dont la version finale ne traite plus ni de la question de la durée de la relation ni – à tout le moins de façon explicite – de la franchise participative. Au final, le régime des contrats d’affiliation, réduit à peau de chagrin, se résume à deux règles, qui, à première vue, ressemblent davantage une codification du droit positif qu’une véritable réforme. L’article L. 341-1 pose ainsi le principe d’une échéance unique et d’une résiliation commune à l’ensemble des conventions formant le groupe de contrats (A), tandis que l’article L. 341-2 rappelle et généralise le régime des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles applicable en droit européen (B).
A- L’exigence d’une échéance unique et d’une résiliation commune
La loi du 6 août 2015 n’a pas repris l’idée du projet de loi Lefebvre imposant l’existence d’une convention unique fixant les obligations des parties du fait de l’affiliation . Elle instaure en revanche une indivisibilité entre les différents contrats formalisant la relation d’affiliation : ceux-ci « prévoient une échéance commune » au terme de l’alinéa 1er de l’article L. 341-1 et « la résiliation d’un de ces contrats vaut résiliation de l’ensemble des contrats » selon le deuxième alinéa de l’article. La filiation avec les recommandations de l’Autorité de la concurrence est palpable, celle-ci ayant pu estimer que lorsque les différents contrats d’affiliation « sont d’une durée différente et que l’échéance de l’un d’eux n’entraîne pas automatiquement la rupture d’un autre – qui s’accompagne fréquemment du paiement d’indemnités ou/et de l’entrée en vigueur de clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation, la durée de la relation contractuelle peut alors être artificiellement prolongée » . Le constat ne peut qu’être partagé, y compris semble-t-il parmi les têtes de réseau, dont certaines avaient, dès 2011, pris l’engagement de mettre fin à cette situation . À dire vrai, la solution n’est pas inédite et avait depuis bien longtemps été consacrée par la jurisprudence . Pour n’être pas révolutionnaire, l’indivisibilité légale ainsi instaurée semble néanmoins porteuse d’une simplification bienvenue. Malheureusement, ces effets bénéfiques sont largement contrebalancés par les zones d’ombre que laisse planer le texte et qui risquent d’alimenter le contentieux. Trois interrogations majeures demeurent en effet quant à la portée du mécanisme ainsi instauré.
On peut en premier lieu s’interroger sur le devenir des contrats d’affiliation à durée indéterminée qui, pour être plus rares que leurs homologues à durée déterminée, n’en existent pas moins. L’exigence légale d’une « échéance », a fortiori commune, ne les place-t-elle pas, de facto, dans l’illicéité ? Une telle solution serait regrettable, surtout si l’on s’attache à la motivation du législateur, qui a entendu protéger les affiliés d’un éventuel enfermement dont, par hypothèse, un contrat à durée indéterminée les prémunit mieux que nul autre. Sans doute la jurisprudence saura-t-elle dissiper rapidement cette crainte, au prix d’un contentieux dont on aurait pu faire l’économie.
Une interrogation plus fondamentale concerne, en outre, l’alinéa 2 de l’article L. 341-1 qui ne vise que la « résiliation » de l’un des contrats pour lui faire produire un effet identique sur l’ensemble contractuel. Est-ce à dire, a contrario, que la résolution, l’annulation ou la caducité de l’un des contrats d’affiliation est sans incidence sur les autres contrats ? Il y aurait là un net recul de la protection des affiliés, au regard de la jurisprudence en vigueur, en contrariété avec les intentions du législateur. Celui-ci eût probablement été plus avisé de substituer au terme « résiliation » un vocable plus large, tel qu’anéantissement.
L’indivisibilité ainsi instaurée peut enfin faire craindre un troisième effet pervers pour les affiliés exploitant plusieurs magasins sous une même enseigne : la résiliation du contrat d’affiliation pour l’un de ces points de vente impliquerait, selon une lecture littérale du texte, la résiliation de l’ensemble des contrats de l’affilié. Une telle inquiétude avait notamment été exprimée par les concessionnaires automobiles pendant le processus législatif. Sur ce point, le ministre de l’Économie s’est voulu rassurant, affirmant en séance publique au Sénat que « la résiliation peut avoir lieu magasin par magasin, sans pour autant qu’un concessionnaire ou un professionnel de l’automobile soit obligé de dénoncer les contrats pour tout son réseau » . Malheureusement, à la lecture du texte, une telle solution ne semble pas aller de soi : une précision jurisprudentielle devra nécessairement conforter la clarification ministérielle. Des interrogations similaires affleurent à la lecture de l’article L. 341-2, qui régit dorénavant les conditions de validité des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles.
B- L’encadrement des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles
Ici encore, le temps et les débats parlementaires ont eu raison de la hardiesse du législateur. À la prohibition de principe et sans exception des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles posée par l’amendement Brottes, le texte final a substitué une position plus nuancée. Celle-ci reprend pour l’essentiel ce qui avait été imaginé par le projet de loi Lefebvre et aligne le droit interne sur les exigences du règlement européen n° 330/2010 du 20 avril 2010 relatif aux accords de distribution. La prohibition de principe des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles demeure inscrite à l’article L. 341-2, I, mais est immédiatement tempérée par le II du même texte. Ces clauses sont ainsi valables sous réserve de quatre conditions cumulatives : « 1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat [d’affiliation] ; 2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat [d’affiliation] ; 3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat [d’affiliation] ; 4° Leur durée n’excède pas un an après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats [d’affiliation] ». En somme, les conditions prévues par le règlement européen d’exemption sont reprises en droit interne et généralisées, quelle que soit la part de marché détenue par le réseau .
En dépit des apparences, l’article L. 341-2 réserve cependant probablement bien des surprises et promet aux plaideurs d’intenses débats. Si le régime est mot pour mot calqué sur le droit européen, son champ d’application diffère notablement : là où le règlement d’exemption vise « toute obligation […] interdisant à l’acheteur […] de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services », la loi Macron entend encadrer les clauses « ayant pour effet […] de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant ». L’expression utilisée en droit interne est à l’évidence infiniment plus large que celle employée par le droit européen. Or, mesurer les effets de telle ou telle clause sur la liberté d’exercice de l’affilié relève nécessairement d’une appréciation in concreto. On peut avancer sans crainte que les traditionnelles clauses de non-concurrence ou clauses de non-réaffiliation sont incontestablement visées par ce texte. Il est en revanche difficile d’être aussi catégorique concernant une multiplicité de clauses tout aussi fréquentes dans les contrats de distribution : clauses de confidentialité, de non-sollicitation, ou encore de partage du fichier client. Une interprétation par trop extensive de la notion aboutirait à remettre en cause la validité de la plupart de ces clauses, pourtant acquise en jurisprudence, et à bouleverser l’équilibre des contrats d’affiliation. Il en résulterait par ailleurs, sous couvert d’une harmonisation, une dissonance malvenue entre droit interne et droit européen. Poussée à l’extrême, la logique pourrait faire entrer dans le champ d’application de l’article L. 341-2 les pactes de préférence et autres droits de préemption, dont l’Autorité de la concurrence s’était attachée à démontrer, quoique de façon assez contestable , les effets restrictifs de concurrence . La question est d’autant plus importante que, contrairement à l’article L. 341-1, l’article L. 341-2 est applicable aux contrats d’association ou de société. Sorties par la petite porte à la faveur de l’abandon du projet de loi Lefebvre, les recommandations de l’Autorité de la concurrence en la matière pourraient ainsi signer leur retour à la faveur de la fenêtre entrouverte par le texte. Il appartiendra en réalité aux juridictions – de droit commun cette fois – de peser, pour chaque clause et dans chaque situation, les effets sur la possibilité pour l’affilié d’exercer une activité à l’issue des relations contractuelles. Espérons qu’elles sachent le faire avec mesure. Voilà qui promet en tout cas, une fois encore, de stimulants débats en perspective.